Bonsoir!
J'aimerais aujourd'hui vous parler d'un site important de la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord, que j'ai eu le plaisir de visiter en octobre 2018: les vestiges des forts britanniques de Chouaguen, situés dans l'actuelle ville d'Oswego, dans le nord de l'État de New York, sur la rive sud du lac Ontario.
En 1727, alors que la paix règne entre la France et la Grande-Bretagne depuis le traité d'Utrecht de 1713, les Britanniques s'installent à l'embouchure de la rivière Oswego (sur le site de l'actuelle ville d'Oswego, NY), sur les terres de la Confédération Iroquoise. Très vite, le poste de traite qu'ils y établissent devient un ensemble fortifié (trois forts tels que présentés sur la photo ci-dessous), qui assure une solide présence britannique dans la région du lac Ontario.
Panneau d'interprétation présentant les forts britanniques sur le site d'Oswego
(photo Joseph Gagné, octobre 2018)
(photo Joseph Gagné, octobre 2018)
En 1750, Roland-Michel Barrin de la Galissonière, ancien gouverneur par intérim de la Nouvelle-France entre 1747 et 1749, rédige un Mémoire sur les colonies de la France dans l'Amérique septentrionale, fort instructif concernant la situation stratégique de l'Amérique du Nord.
La Galissonière donne ainsi un avis particulièrement tranché sur la présence britannique à Chouaguen:
"Le fort Frontenac est au débouché du Lac Ontario, sur lequel les Anglais ont établi un poste ou fort appelé Chouaguen, qui est une des usurpations des plus manifestes et en même temps des plus nuisibles au Canada. Ce poste placé sur un terrain et au bord d’un lac, dont les Français ont toujours été en possession n’a été établi par les Anglais, que nombre d’années depuis le Traité d’Utrecht, et dans le temps de la plus profonde paix. On se borna alors de la part du gouverneur du Canada à des protestations, et le poste a subsisté et subsisté, au lieu qu’il fallait le détruire dans l’origine par la force. […] On n’entrera pas ici dans une plus longue discussion sur le point de droit : mais l’on ne doit pas omettre d’observer que ce poste qui a été presque regardé comme un objet de peu d’importance, est capable de causer la ruine entière du Canada, et lui à déjà porté les plus rudes coups. C’est la que les Français font souvent un commerce frauduleux qui fait passer à l’Angleterre les profits les plus clairs que le Canada devrait donner à la France. C’est la que les Anglais prodiguent aux Sauvages l’eau de vie dont l’usage leur avait été interdit par les ordonnances de nos Rois, par ce qu’il les rend furieux. Enfin c’est là que les Anglais attirent toutes les Nations sauvages, et qu’ils tachent a force de présents non seulement de les gagner, mais encore de les engager à assassiner les traiteurs français répandus dans la vaste étendue des forêts de la Nouvelle France. Tant que les Anglais posséderont Chouaguen on ne pourra être que dans une défiance perpétuelle des Sauvages qui ont été jusqu’ici le plus affidés aux Français : on sera obligé d’entretenir dans la plus profonde paix deux fois plus de troupes que l’état de la colonie ne l’exige ou ne le comporte; d’établir et de garder des forts en une infinité d’endroits et d’envoyer presque tous les ans des détachements très nombreux et très dispendieux pour contenir les différentes Nations des Sauvages. La navigation des Lacs sera toujours en risque d’être troublée, la culture des terres ne s’avancera qu’à demi et ne pourra se faire que dans le centre de la colonie, enfin on sera toujours dans une situation qui aura tous les inconvénients de la guerre sans même en avoir les avantages. Il ne faut donc rien épargner pour détruire ce dangereux poste à la première occasion de représailles que les Anglais en fourniront par quelque une de ces hostilités qu’ils ne sont que trop accoutumés de commettre en temps de paix, supposé qu’on ne puisse se le faire céder gré agré moyennant quelque équivalent."
Contrebande, tentatives de détourner les nations autochtones de l'alliance française, perturbation de la navigation sur le lac Ontario: le ton pour le moins virulent, quasi apocalyptique employé par La Galissonière présente sans détour la menace que font peser les trois forts britanniques sur la Nouvelle-France. Cette virulence vis-à-vis de Chouaguen se retrouve dans le discours et les actions des successeurs de La Galissonière, Jonquière, Duquesne puis Vaudreuil. Ce dernier, en poste à partir de 1755, alors que les hostilités entre Français et Britanniques ont éclaté un an plus tôt, porte ses principaux efforts sur l'éradication de la menace britannique de Chouaguen, comme il s'en confie au ministre dans une lettre du 24 juillet 1755:
"Quelque grand soit le mal, il faut que j’y remédie, et pour remplir mes vues et mon zèle à cet égard, je ne saurais perdre de vue mon projet sur Chouaguen, puisque du succès de ce projet dépend la tranquillité de la colonie. […] Si je différais l’expédition de Chouaguen et que les Anglais, après s’être rendus maîtres de Niagara, fortifiassent solidement ce fort, il est sensible qu’ils nous boucheraient la communication des postes du sud, et qu’ils se mettraient en état d’envahir tous nos pays d’en haut. Chouaguen pris et rasé, tous les progrès que les Anglais pourraient avoir faits jusqu’alors, tombent. Quand bien même les Anglais auraient pris Niagara, je ne leur donnerai pas le temps de s’y établir, et par la même expédition je les en délogerai. Chouaguen est depuis l’instant de son établissement le rendez-vous des différentes nations sauvages. C’est de Chouaguen que sortent tous les colliers et les paroles que les Anglais font répandre chez les nations des pays d’en haut. Ça toujours été à Chouaguen que les Anglais ont tenu conseil avec les nations et qu’à force de présents, principalement en boissons enivrantes, ils les ont déterminées à assassiner les François. Enfin, c’est par conséquent Chouaguen qui est la cause directe de tous les troubles survenus dans la colonie, et des dépenses infinies qu’ils ont occasionnées au roi. De la destruction de Chouaguen il s’en suivra."
On reconnaît la similitude dans son ton avec celui de La Galissonière cinq ans plus tôt... Si l'offensive britannique de l'année 1755 contraint Vaudreuil à renoncer à son projet sur Chouaguen, l'arrivée en 1756 de renforts venus de France, menés par le marquis de Montcalm, lui permet de mettre à exécution son dessein. La prise des forts britanniques à l'été 1756 (malgré la mort regrettable de l'ingénieur Lombard de Combles) permet aux Français de s'assurer le contrôle du lac Ontario, en plus de porter un rude coup aux intérêts britanniques, qui perdent là une base offensive d'importance.
Voilà qui clôt cet article pour aujourd'hui.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin
Sources: Roland-Michel Barrin de la Galissonière, Mémoire sur les Colonies de la France dans l'Amérique Septentrionale; Lettre de M. de Vaudreuil au Ministre de la Marine, 24 juillet 1755, dans Extraits des archives des ministères de la Guerre et de la Marine à Paris: Canada, correspondance générale, MM. Duquesne et Vaudreuil, gouverneurs-généraux, 1755-1760, Québec, Imprimerie L-J Demers & Frère, 1890, p. 46-49.
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