samedi 17 novembre 2018

Erreur (fatale) sur la personne: la mort de l'ingénieur De Combles

Bonjour!

Pour ce premier article, j'ai choisi un thème cocasse, quoique tragique: la mort accidentelle d'un ingénieur militaire français pendant la guerre de Sept Ans.

À l'été 1756, alors que la guerre de Sept Ans vient d'être déclarée en Europe entre la France et la Grande-Bretagne, les deux nations combattent en Amérique du Nord depuis deux ans. Prévoyant, Louis XV a envoyé à sa colonie de Nouvelle-France des renforts militaires, menés par le marquis de Montcalm. Peu après son arrivée, celui-ci entreprend une action offensive, en allant assiéger les forts britanniques de Chouaguen (situés dans l'actuelle ville d'Oswego, dans le nord de l'État de New York, sur la rive sud du lac Ontario).

Pour préparer le siège, Montcalm peut compter sur le savoir-faire des deux ingénieurs militaires qui l'accompagnent. 
J'en profite pour faire une petite digression: il est ici question des ingénieurs militaires, qui sont au coeur de mes préoccupations pour le doctorat que j'ai débuté à l'Université Laval. J'aurai l'occasion dans d'autres articles de revenir plus longuement sur le modèle européen de la guerre de siège et sur les actions des ingénieurs, mais pour résumer rapidement, les ingénieurs militaires sont les "scientifiques" de cette guerre de siège, ceux qui disposent du savoir-faire théorique et technique pour qu'un siège réussisse. L'une de leurs tâches consiste notamment à aller observer les fortifications ennemies, soit avant un siège soit au début de celui-ci, pour déceler les points faibles de la place assiégée, et les plus propices à une attaque efficace. 



Illustration d'Eugène Leliepvre représentant Montcalm et des officiers de son état-major, 
parmi lesquels un ingénieur militaire (agenouillé à gauche)

En prévision du siège de Chouaguen/Oswego, Montcalm envoie au mois de juillet l'un de ses ingénieurs, Jean-Claude-Henri de Lombard de Combles, pour aller reconnaître les forts britanniques. Celui-ci, partant du fort Frontenac (actuelle Kingston, Ontario), réussit pleinement sa mission. À son retour à Frontenac le 30 juillet, il dresse un plan des fortifications britanniques, qui a été conservé par les Archives Nationales d'Outre-Mer françaises:


Plan de la Rivière et des Forts de Chouaguen 
relatif à la reconnaissance que j'en ay fait 
le 25 juillet 1756. 
Plan dressé le 30 juillet 1756 par l'ingénieur De Combles.
 Archives Nationales d'Outre-Mer 

Je trouve ce document extrêmement intéressant puisqu'en plus d'un plan détaillé des forts ennemis, l'ingénieur a pris le soin de dessiner une première proposition des travaux de siège qui seront à mener pour s'en emparer.

Le 10 août 1756, l'armée de Montcalm débarque près des forts de Chouaguen. De Combles, nommé ingénieur en chef pour ce siège, décide de procéder à une nouvelle reconnaissance des forts le lendemain matin, en compagnie de son collègue ingénieur Jean-Nicolas Desandrouins. Au matin du 11 août, les deux ingénieurs ainsi que quelques officiers partent en direction des bois entourant les forts britanniques, accompagnés d'une escorte de guerriers amérindiens. Laissant leurs compagnons et leurs gardes en retrait, les deux ingénieurs s'avancent pour observer les fortifications. Mais alors qu'il revient vers ses compagnons, de Combles est malencontreusement pris pour cible par l'un des alliés autochtones, qui a confondu l'uniforme rouge de l'ingénieur avec celui des Britanniques... De Combles meurt de sa blessure sur le chemin du retour. L'incident plonge les officiers français dans l'embarras, Montcalm notant dans son journal de campagne que "cette perte fut avec raison regardée comme considérable, ne restant qu'un seul ingénieur" pour le siège, à savoir Desandrouins.  

On peut imaginer la réaction de Bougainville et de ses collègues officiers
 en apprenant la cause de la mort de De Combles...

La mort de l'ingénieur ne coupe cependant pas les Français dans leur élan. Pierre Pouchot, un officier des troupes de Terre qui possède de solides connaissances en Génie, remplace le défunt pour épauler Desandrouins. Après un siège rapide, la garnison britannique capitule le 14 août.

Pour l'anecdote, l'Autochtone ayant tué de Combles, nommé Ochik (ou Hotchig, Aoussik, les officiers ont visiblement du mal à s'accorder sur son nom...), affligé par sa fatale erreur, a redoublé d'efforts pour nuire aux Britanniques, dans le but de se faire pardonner. Pouchot mentionne par exemple dans son journal que "Plus de 33 Anglais tombèrent sous ses coups dans le courant d'une année". 

Voilà pour ce premier article, j'espère que l'anecdote vous aura diverti.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
   Michel Thévenin


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