lundi 24 août 2020

Les sièges de la guerre de Sept Ans en Amérique étaient-ils "meurtriers"?

Bonjour!

Je vous propose aujourd'hui une petite réflexion sur un autre aspect de la guerre de siège en Amérique du Nord pendant la guerre de Sept Ans. Après avoir évoqué la durée habituelle des sièges au 18e siècle (voir mon article ici) ou le matériel qui y est employé (voir ici), ainsi que la définition même des sièges (voir ici), je vous propose ici une autre interprétation d'un thème déjà évoqué sur ce blogue, à savoir la violence de la guerre de siège. Vous pouvez par exemple écouter la conférence de 20mn que j'avais donnée à ce sujet en juin 2018 (l'enregistrement en est disponible ici). Je souhaite ici évoquer, par l'intermédiaire de quelques chiffres, les pertes humaines de certains des onze sièges menés à l'européenne en Amérique du Nord pendant la guerre de Sept Ans (dont la liste est disponible ici). Il ne s'agit nullement d'une analyse exhaustive et complète des chiffres de chacun de ces sièges, ni même d'un survol de l'ensemble des sources relatives au sujet, il s'agit plus d'une rapide évocation du sujet, permettant de dégager une certaine tendance, et qui sera amenée à être complétée plus tard dans mes recherches.

Les deux sièges menés par l'armée française contre les forts britanniques de Chouaguen et de William Henry en 1756 et 1757 présentent des chiffres relativement faibles, traduisant la rapidité des opérations (respectivement 3 et 6 jours de tranchée ouverte) et la maîtrise de leur art par les ingénieurs français - malgré la perte préjudiciable de l'ingénieur de Combles à Chouaguen (voir mes articles ici et ). Le journal du marquis de Montcalm, dirigeant l'armée française au siège de Chouaguen en 1756, mentionne ainsi, en comptant l'infortuné ingénieur, 6 tués et 24 blessés pour les assiégeants. Un an plus tard, Louis-Antoine de Bougainville note que le siège du fort William Henry occasionne la perte pour l'armée française de 17 tués et 40 blessés. Les chiffres sont à peu près les mêmes dans le journal du siège rédigé par l'ingénieur Jean-Nicolas Desandrouins, la différence principale concernant les blessés (20 tués et 80 blessés), mais l'ingénieur précise également les pertes de la garnison britannique, qui s'élèvent à 80 tués et 120 blessés.

Attaques du fort William-Henri en Amérique par les troupes françaises aux ordres du Marquis de Montcalm,
prise de ce ce fort le 7 août 1757
,
dessiné par Therbu, lieutenant ingénieur, Francfort, 1793,
Collections de la Clements Library (University of Michigan)

Les chiffres sont tout autres pour le troisième et dernier siège "offensif" mené par l'armée française, à savoir celui de la ville de Québec au printemps 1760 (voir mon article complet au sujet de ce siège ici). L'échec des Français à reprendre la capitale de la Nouvelle-France leur coûte en effet 73 officiers et soldats tués lors des 18 jours de tranchée ouverte, et 133 blessés. Surtout, ces chiffres suivent immédiatement ceux de la meurtrière bataille de Sainte-Foy précédant le siège le 28 avril, gonflant les chiffres globaux de l'opération contre Québec à 266 tués et 773 blessés.

Si l'on regarde maintenant les sièges ayant vu l'armée française occuper le rôle de l'assiégé (soit lors de huit des onze sièges recensés reprenant le modèle européen de la guerre de siège), force est de constater que les chiffres des pertes subies (mais aussi infligées à l'assiégeant) répondent à l'intensité de la défense proposée par la garnison. Le macabre record revient donc sans surprise au siège de Louisbourg de 1758. La garnison française se rend le 26 juillet après avoir soutenu 45 jours de tranchée ouverte, lesquels lui ont coûté 93 morts et 237 blessés (ces chiffres ne reflètent pas le sacrifice des Autochtones dans la défense de la ville, les pertes de ces derniers étant hélas inconnues). Le siège fut également très éprouvant pour les Britanniques, qui comptent pas moins de 229 tués et 371 blessés. À l'inverse, les pertes essuyées par la garnison du fort Beauséjour (qui se rend le 16 juin 1755 après 5 jours de tranchée ouverte) sont bien plus faibles. L'artilleur Louis-Thomas Jacau de Fiedmont, qui remplit pour l'occasion les fonctions d'ingénieur, avance ainsi les chiffres de 10 morts (dont un prisonnier britannique tué par l'explosion d'une bombe...) et 7 blessés. Le commandant de la garnison, Louis du Pont Duchambon de Vergor, sera d'ailleurs jugé - et acquitté - par un conseil de guerre à Québec en octobre 1757, sa défense à Beauséjour ayant été jugée trop faible par ses contemporains.

Contrairement à Vergor, Pierre Pouchot a lui été louangé pour la défense qu'il a opposée par deux fois aux Britanniques aux forts Niagara et Lévis en 1759 et 1760 (voir par exemple mon article sur sa défense vigoureuse du fort Niagara en juillet 1759). Des 486 hommes qui composent la garnison de Niagara au début du siège, Pouchot relève dans son journal au moment de la reddition des pertes s'élevant à 109 tués et blessés. Je vous renvoie à l'article que mon ami Joseph Gagné à consacré sur son blogue à la bataille de la Belle-Famille, tentative de secours français de dégager le fort s'étant terminée par un fiasco, dans lequel il expose quelques chiffres intéressants. Un an plus tard, il subit à nouveau un siège très pénible au fort Lévis en août 1760. Le fort, situé sur une île sur le Saint-Laurent, est difficilement investi par les Britanniques, qui réussissent à établir des batteries en plusieurs points sur les deux rives du fleuve. À partir du 22 août, ce sont ainsi pas moins de 75 pièces d'artillerie qui battent sans relâche la position fortifiée, semant la désolation parmi les assiégés. Pouchot rapporte ainsi qu'"aux premières volées, M. Bertrand, officier d'artillerie, fut tué raide d'un boulet qui lui coupa les reins". Le siège coûte aux 326 hommes de sa maigre garnison "plus de soixante tués et blessés", ce à quoi il faut ajouter que "tous les officiers avaient reçu des blessures plus ou moins considérables", Pouchot étant lui-même victime d'une "contusion considérable" causée par l'explosion d'une bombe. L'opiniâtreté des défenseurs entraîne cependant des pertes élevées chez les Britanniques, qui dénombrent 332 tués et blessés.

PLAN of FORT NIAGARA with its ENVIRONS, and the Attack made there-upon, in the Month of Iuly 1759,
anonyme, 1759, British Library (disponible en ligne sur la Collection Leventhal)



Pour terminer ce rapide survol de la question des pertes humaines des sièges en Nouvelle-France lors de la guerre de Sept Ans, il me semble judicieux de mettre celles-ci en perspective avec celles des sièges ayant lieu à la même époque en Europe. Au cours de la guerre de Succession d'Autriche, le siège de Namur par les Français en 1746, ayant duré 13 jours de tranchée ouverte (ce qu'on peut considérer comme une durée "normale" pour un siège, voir mon article partagé en introduction concernant la durée moyenne des sièges au 18e siècle), avait coûté aux assiégeants 603 tués et blessés. Au cours du même conflit, le siège particulièrement long et difficile de la ville hollandaise de Berg-op-Zoom en 1747 avait marqué les esprits par le déchaînement de violence des Français à la prise de la ville, qui répondait entre autres aux pertes élevées subies par les assiégeants (voir ici mon article au sujet de la prise de Berg-op-Zoom). Le siège de Louisbourg en 1758 est la seule occurrence voyant en Nouvelle-France un assiégeant confronté à une fortification répondant véritablement aux standards européens, et est le seul siège présentant des chiffres se rapprochant de ceux de l'Europe, mais sur une durée exceptionnellement longue (45 jours).

Les chiffres des pertes occasionnées par les sièges en Nouvelle-France lors de la guerre de Sept Ans permettent de vérifier une fois de plus la très nette différence d'effectifs déployés sur les théâtres d'opération européen et nord-américain, et l'importance accrue accordée par les décideurs militaires à la guerre en Europe. Les chiffres du siège par l'armée française de Minorque en 1756 (voir ici mon article à ce sujet) sont en cela terriblement éloquents. Lors du seul assaut du 27 juin sur le fort Saint-Philippe, qui précipite la capitulation de la garnison britannique, les troupes du maréchal de Richelieu payent leur avancée par le lourd prix de 212 tués et 462 blessés...

Voilà qui conclue mon article pour aujourd'hui.

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À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources:
- Henri-Raymond Casgrain, Journal du marquis de Montcalm;
- Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada;
- Journal du siège du fort Georges, par M. Des Androuins, ingénieur du Roy employé à ce siège;
- Henri-Raymond Casgrain, Journal des campagnes du chevalier de Lévis;
- Pierre Pouchot, Mémoires sur la dernière guerre de l'Amérique septentrionale.