jeudi 20 décembre 2018

Vauban, ou la rationalisation de la guerre de siège au service du Roi-Soleil

Bonjour à toutes et à tous!

Après vous avoir exposé les multiples définitions du siège au 18e siècle, il est temps pour moi de vous présenter un aspect qui s'est retrouvé au fondement de ma réflexion sur la guerre de siège: le rôle de Vauban dans l'édification d'une guerre de siège "scientifique" à la fin du 17e siècle.

Vauban: ce nom reste indéniablement attaché à celui de l'apogée de l'art d'attaquer les places dans l'Europe des 17e et 18e siècles. Bâtisseur de forteresses toutes plus puissantes les unes que les autres, incomparable preneur de villes, les qualificatifs pour désigner Sébastien Le Prestre de Vauban et son impact sur l'art de la guerre ne manquent pas. Cet ingénieur militaire qui a passé sa vie au service de Louis XIV a laissé une marque durable sur le patrimoine militaire français. On compte en effet par dizaines les vestiges de citadelles construites ou améliorées par Vauban, et encore visibles au moins partiellement sur le territoire français. D'ailleurs, n'attribue-t-on pas le vocable de "fort à la Vauban" à n'importe quelle fortification bastionnée (qu'on reconnaît à sa forme en étoile)? Je précise en passant que cette appellation relègue à l'oubli le long processus de développement des fortifications aux 16e et 17e siècles et dont Vauban n'est qu'un aboutissement...Toujours est-il qu'ayant lui-même dirigé ou participé à près de cinquante sièges, Vauban a acquis une expérience de la guerre de siège qui lui a permis d'en livrer un modèle théorique, qu'il a ensuite constamment perfectionné, et qui a servi de référence à l'ensemble des armées européennes pendant un siècle et demi. Le dernier siège obéissant aux règles édictées par Vauban est celui de la ville belge d'Anvers, en 1832. 

Sébastien Le Prestre de Vauban, maréchal de France,
par Charles-Philippe Larivière, 1834, préfecture de Lille

Contrairement à ce que certains de ses admirateurs ont affirmé, Vauban a peu "inventé" en termes de siège. Sa principale innovation, testée en 1688 lors du siège de Philippsbourg, est le tir à ricochet. Celui-ci permet au boulet, par des calculs d'angles et de quantité de poudre utilisée dans la charge, de frapper plusieurs endroits par ricochet, pouvant par exemple réduire au silence plusieurs canons en un seul tir.

Tout le génie de Vauban repose sur la formidable synthèse qu'il fait de la poliorcétique européenne (du grec poliorkein, assiéger une ville) et de ses pratiques, empruntant et améliorant par exemple l'usage des tranchées d'approches (qui existaient déjà de manière plus ou moins efficace depuis le 16e siècle). En 1704, il remet à Louis XIV un Mémoire, pour servir d'instruction dans la conduite des sièges et dans la défense des places (une version améliorée par trente années d'expérience d'un premier mémoire écrit en 1672), dans lequel il propose un modèle théorique du siège idéal, car scientifique et rationnel (et terriblement efficace).

Le siège idéal "à la Vauban" se déroule selon douze étapes très codifiées:
- investissement de la place: l'armée assiégeante isole la place assiégée, et la coupe de toute communication avec l'extérieur;

- installation de l'armée de siège: l'assiégeant installe ses campements face à la place assiégée. une ligne de retranchements, la contrevallation, fait face à la place, pour gêner les sorties de la garnison. Une deuxième ligne, la circonvallation, est tournée vers l'extérieur et destinée à contrer les éventuels secours ennemis;

- reconnaissances: les ingénieurs observent les fortifications de la place et en évaluent le point le plus propice à l'attaque, en jugeant tant la nature et la force des fortifications que le terrain les précédant;

- travaux d'approche: en partant de la ligne de contrevallation (à environ 2 400 mètres de la place), deux tranchées, parfois plus, progressent en direction de la place, en zig-zag pour éviter les tirs d'enfilade des assiégés;

- première parallèle: à 600 mètres de la place, les tranchées d'approche sont reliées par une tranchées parallèle au front attaqué, autrement appelée place d'armes. Cette parallèle sert à la communication entre les tranchées d'approche, mais également à masser les troupes et l'artillerie;

- deuxième parallèle: au-delà de la première parallèle, les tranchées d'approche continuent leur progression jusqu'à 350 mètres des fortifications assiégées, où une deuxième parallèle est creusée;

- installation des batteries: en théorie, les premières batteries d'artillerie sont installées sur la deuxième parallèle. Dans les faits, de nombreux généraux en installent dès le creusement de la première parallèle, même si la distance réduit l'efficacité des tirs;

- troisième parallèle: une fois que les tranchées d'approche sont parvenues au pied du glacis (talus de terre et d'herbe qui monte doucement en direction des fortifications), construction d'une troisième et dernière parallèle (il arrive exceptionnellement qu'une quatrième parallèle soit creusée sur le glacis, si la place est suffisamment imposante et si sa garnison résiste au-delà des attentes);

- couronnement du chemin couvert: l'assiégeant refoule les défenseurs du chemin couvert (la première ligne de retranchement au sommet du glacis);

- préparation de l'assaut: installation des batteries de brèche (pièces d'artillerie à forte puissance de feu, installées à faible distance de l'ouvrage attaqué et permettant d'y créer une brèche);

- descente au fossé: rassemblement des troupes destinées à l'assaut, sur la troisième parallèle, face à la future brèche;

- assaut: une fois la brèche pratiquée, charge de l'infanterie assiégeante, entraînant dans la majorité des cas la reddition de la place. Après la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), l'usage de l'assaut est de plus en plus rare, les garnisons se rendant souvent une fois la brèche ouverte dans les fortifications.

Gravure tirée de Éléments de la guerre des sièges, ou traité de l'artillerie, de l'attaque 
et de la défense des places, Guillaume Le Blond, 1743.

La pensée de Vauban concernant la guerre de siège s'inscrit dans le contexte intellectuel et scientifique du 17e siècle européen. Vauban, à l'instar de ses contemporains, est imprégné du courant du rationalisme, qu'on retrouve notamment chez Descartes. Il conçoit donc le siège de manière rationnelle, et en propose une approche scientifique, calculée, méthodique. Le siège à la Vauban est certes long et coûteux en matériel (Vauban estime que pour ouvrir une brèche dans les fortifications, 1 000 tirs d'artillerie de brèche sont nécessaires), mais il garantit la chute de la place assiégée.

Le modèle de la guerre de siège élaboré par Vauban a été immédiatement observé, copié et utilisé par l'ensemble des armées européennes de la fin du 17e siècle et du 18e, et connaîtra peu d'évolutions jusqu'aux années 1830. C'est également ce modèle de guerre de siège qui sera importé, à différentes échelles, par les armées européennes lorsqu'elles combattront en milieu colonial (un prochain article présentera les sièges "à l'européenne" en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans).

À bientôt!
Michel Thévenin

lundi 10 décembre 2018

La violence de la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans


Bonsoir!

J'ai eu l'occasion de présenter une partie de ma recherche de maîtrise lors d'un colloque organisé en juin 2018 à Wendake par la Chaire de recherche sur la parole autochtone de l'Université du Québec à Chicoutimi. Les conférences étaient filmées (on ne voit cependant pas les présentations PowerPoint), et j'ai pu retrouver sur Youtube ma communication, que je souhaitais vous partager, le sujet pouvant susciter votre curiosité.

Dans cette conférence (d'une vingtaine de minutes) intitulée " "Des monstres capables de nous déshonorer": violence européenne, violence amérindienne de la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans", je me suis intéressé au choc culturel vécu par les officiers européens, tant français que britanniques, lors de leur expérience de la guerre en Nouvelle-France. Ces officiers étaient en effet imprégnés d'une culture militaire européenne, c'est-à-dire qu'ils avaient un présupposé de la guerre telle qu'elle était conduite en Europe, avec ses codes et ses rituels, la fameuse "guerre en dentelles".
Pourtant, lorsqu'ils arrivent en Amérique, ils ont pour alliés des combattants qui ignorent tout de cette culture militaire européenne, et qui possèdent leurs propres conceptions de la guerre. Le choc culturel est particulièrement visible dans les discours entourant la violence mise à contribution lors de la guerre de siège. À travers le point de vue des officiers européens, j'ai donc voulu m'intéresser à la différence que faisaient ces officiers entre d'une part une violence "européenne" de la guerre de siège, "acceptable" car codifiée en Europe, et d'autre part une violence "amérindienne", qui serait "barbare", "immorale". 


Scène de bombardement
gravure tirée de Théorie nouvelle sur le mécanisme de l'artillerie
par Joseph Dulacq, 1741

Montcalm trying to stop the massacre
gravure d'Alfred Bobett, 1888-89, 
Library of Congress, Washington DC

Bonne écoute, et à bientôt!



Michel Thévenin


vendredi 7 décembre 2018

Le demi-mortier de Ticonderoga


Bonjour!

Aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un vestige du passé très intéressant, qui se trouve au fort Ticonderoga, anciennement le fort français de Carillon sur le lac Champlain (actuelle ville de Ticonderoga, État de New York).


Il s'agit d'un demi-mortier français, utilisé lors de la défense du fort Carillon pendant la guerre de Sept Ans. Le mortier de 13 pouces (artillerie lourde de siège projetant des bombes) a servi lors du siège de 1759. Capturé par les Britanniques en même temps que le fort, il est resté sur place, jusqu'à ce qu'en 1775 les Insurgents américains (nom donné aux rebelles des Treize Colonies) s'emparent du fort Carillon (renommé Ticonderoga) .... et de son artillerie. Le mortier français est donc utilisé par les Américains lors du siège de Boston, avant de revenir dans la région du lac Champlain. Au cours d'une bataille navale sur le lac en 1776, une charge de poudre trop élevée dans le mortier le fait exploser en deux moitié quasi parfaitement égales. Une des deux moitiés coule dans le lac, mais l'autre est conservée, et utilisée par les Américains (puis par les Britanniques lors de la reprise du fort Ticonderoga) comme lest pour leurs navires. En bref, toute une aventure pour cette pièce d'artillerie, qui aura servi (dans des utilisations diverses) pendant les guerres de Sept Ans, d'Indépendance américaine et de 1812.

Photo: Joseph Gagné, 2016

J'ai eu l'occasion de voir cette pièce lors d'un voyage au fort Ticonderoga à la fin août 2016 avec deux excellents amis et collègues, Joseph Gagné et Cathrine Davis. Le demi-mortier faisait partie d'une exposition intitulée "The Last Argument of Kings: The Art and Science of 18th-century Artillery", et faisant référence à l'inscription Ultima ratio regum ("L'ultime argument des rois") gravée sur les canons de Louis XIV. Au passage, un petit compte-rendu de cette exposition et du voyage en général est disponible sur le blogue Curieuse Nouvelle-France de l'unique et irremplaçable Joseph Gagné.

Scène de bombardement, gravure tirée de 
Théorie nouvelle sur le mécanisme de l'Artillerie, par Joseph Dulacq, 1741.

Je vous partage également une vidéo (en anglais) publiée par le Musée du Fort Ticonderoga, dans laquelle Matthew Keagle, conservateur des collections du musée, nous parle de ce demi-mortier:

 
À bientôt!
Michel Thévenin

lundi 3 décembre 2018

Le portrait de Chaussegros de Léry: père ou fils?

Bonjour!

Un petit article rapide pour vous partager une vidéo fort intéressante du Musée National des Beaux-Arts du Québec (un grand merci à Joseph Gagné pour me l'avoir fait découvrir!)

La vidéo (5 minutes) concerne un portrait du 18e siècle d'un personnage au nom assez connu dans l'histoire de la ville de Québec, et qui m'intéresse tout particulièrement pour mon doctorat: l'ingénieur militaire Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry.
Le problème est que le père et le fils portent le même nom... D'où la complexité lorsqu'il a fallu identifier lequel des deux est sur le portrait...

Mise à jour du 20 janvier 2022:

Chaussegros de Léry fils n'a en fait jamais été "ingénieur", puisqu'il a démissionné de son poste de sous-ingénieur à la fin des années 1740. Le manque de personnel a toutefois poussé les gouverneurs de la colonie des années 1750 à continuer à l'employer pour des travaux de génie, mais il n'a jamais eu le titre d'ingénieur.


Voici la vidéo en question. Bonne écoute, et à bientôt!
Michel Thévenin

Exposition Léonard de Vinci

Bonjour à toutes et à tous!

Une petite actualité qui pourraient intéresser les lecteurs et lectrices de France (mais également ceux de ce côté-ci de l'Atlantique).
Actuellement, à Lyon (ma ville natale!) se tient une exposition sur les inventions de l'un des plus célèbres ingénieurs de l'époque moderne (même s'il est moins connu sous cette facette que celle de peintre par exemple): Léonard de Vinci.

Plusieurs historiens se sont penchés sur la figure de De Vinci comme ingénieur, car il ne faut en effet pas oublier que l'Italien a également beaucoup construit sa carrière comme inventeur de toutes sortes de machines pour les puissantes familles italiennes de la fin du 15e - début 16e siècle. Il a notamment mis ses talents au service des ambitions guerrières de plusieurs de ces grandes familles, et a imaginé des machines de guerre très en avance sur leur temps (comme par exemple une sorte d' "ancêtre" de nos chars d'assaut du 20e siècle).

L'exposition se tient à Lyon jusqu'au 13 janvier 2019, mais, pour ceux qui ne pourraient s'y rendre, voici un article et une courte vidéo qui traite du sujet:


À bientôt!
Michel Thévenin

dimanche 2 décembre 2018

Flûte, Chameau et robe de chambre par Mademoiselle Canadienne

Bonsoir!

J'ai le plaisir de vous partager le dernier article du blogue de ma douce Mademoiselle Canadienne, qui vient de terminer sa dernière (superbe) réalisation de recréation d'un costume historique du 18e siècle (et pour lequel j'ai servi de modèle).

L'article en question: Flûte, Chameau et robe de chambre.
Bonne lecture!
Michel Thévenin

"Messieurs les Anglais, tirez les premiers": le mythe de la "guerre en dentelles"

Le mardi 11 mai 1745, près du village de Fontenoy, au sud de l'actuelle Belgique, l'armée française commandée par Louis XV et le maréchal de Saxe affronte et bat une armée composée majoritairement de Britanniques et de Hollandais. Vers les onze heures du matin, une importante colonne britannique s'approche de la ligne française, et plus particulièrement du régiment des Gardes Françaises, l'un des plus prestigieux de l'armée du roi de France. Mylord Charles Hay, capitaine au régiment des Gardes Anglaises, sort du rang et salue ses homologues français. L'un d'entre eux, le comte d'Anterroches, s'avance à son tour et lui rend son salut. Le Britannique ouvre la conversation en ces termes: "Monsieur, faites tirer vos gens", ce à quoi d'Anterroches répond "Non, Monsieur, à vous l'honneur. Vous savez que nous ne tirons jamais les premiers". La formule est passée à l'histoire sous la forme "Messieurs les Anglais, tirez les premiers". L'épisode a été immortalisé à plusieurs reprises par différents peintres. Voici selon moi la plus belle représentation (esthétiquement parlant) de la bataille de Fontenoy, qui date de la fin du 19e siècle:

La bataille de Fontenoy, Félix Henri Emmanuel Philippoteaux,
1873, Victoria & Albert Museum, Londres

Cette scène d'une conversation entre officiers ennemis rivalisant de politesse au coeur de la bataille peut sembler aujourd'hui totalement surréaliste, et illustre parfaitement le mythe de la "guerre en dentelles", auquel je vous ai brièvement introduit dans un précédent article

Mais que désigne cette joyeuse et guillerette expression de "guerre en dentelles"? Selon plusieurs historiens militaires des 19e et 20e siècles (et hélas encore certains actuellement), la violence des guerres de la Révolution française et de l'Empire napoléonien s'oppose à l' "absence" de violence des guerres de la fin 17e-18e siècles. La guerre au 18e siècle serait ainsi une sorte de "jeu" que se livreraient entre eux des nobles dépravés, rivalisant de courtoisie et de coquetterie, et dont la scène de Fontenoy ne serait que l'exemple le plus marquant.

Une telle image a tendance à nier que la guerre reste la guerre, avec son lot de violences et de ravages. Par exemple, pour la bataille de Fontenoy, si l'on retient la scène de courtoisie entre les deux officiers ennemis, on oublie que le combat qui éclate entre les deux régiments juste après prend des allures de carnage. Le régiment des Gardes Françaises, le premier à subir la percée britannique, perd ainsi plus de 400 tués et blessés en quelques minutes... Une autre toile du même peintre permet de mieux cerner la réalité sanglante de la confrontation:

Louis XV et le Dauphin visitant le champ de bataille de Fontenoy, 11 mai 1745
Félix Philippoteaux, Musée du Service de Santé des Armées du Val-de-Grâce

Surtout, le mythe de la guerre en dentelles ne prend pas en compte le contexte culturel entourant la guerre au 18e siècle. La plupart des officiers des armées européennes de ce siècle sont issus des classes nobiliaires, et à ce titre partagent une culture élitiste commune (malgré quelques inévitables différences nationales). Des valeurs comme le respect et la courtoisie sont ainsi des points importants de l'éducation de ces nobles, qu'ils soient français, britanniques, espagnols ou allemands. Les marques de ces valeurs communes se retrouvent sur le champ de bataille par des gestes ou paroles de respect mutuel ou de courtoisie, qui n'altèrent cependant en rien la fureur des combats qui y font suite. Les "boucheries héroïques" du Candide de Voltaire n'en demeurent pas moins des boucheries...

Pour revenir sur l'exemple de Fontenoy, l'invitation à ouvrir le feu en premier répond également à un impératif tactique partagé par plusieurs théoriciens de la guerre de cette époque, parmi lesquels Maurice de Saxe, qui commande l'armée française lors de cette bataille. En effet, selon eux, laisser l'ennemi tirer en premier donne un avantage tactique, dans le sens que la fumée dégagée des fusils (imaginez plusieurs dizaines, voire centaines d'hommes, qui tirent en même temps) donne l'initiative à celui qui reçoit la salve: tirer à son tour, charger à la baïonnette et surprendre l'ennemi, ou se retirer. En prenant en compte cette pratique militaire, on voit bien que le mot d'Anterroches n'est pas une marque de courtoisie déplacée mettant en jeu la vie de ses hommes, mais est bien dicté par les ordres reçus de ses supérieurs. D'ailleurs, pour rétablir pleinement la vérité des faits, bien que plusieurs versions attestent la conversation entre les deux officiers, la plupart donnent à voir un échange bien moins courtois... En l'occurrence, le Britannique aurait souhaité piquer l'honneur du régiment des Gardes Françaises, en demandant à ses officiers de ne pas reproduire leur comportement de la bataille de Dettingen en 1743, qui avait vu le même régiment être pris d'une panique soudaine et se replier sans combattre... 

Pour terminer cet article, pour ceux et celles qui se poseraient la question, des marques similaires de cette "guerre en dentelles" se retrouvent en Nouvelle-France. J'aurai l'occasion de détailler ce sujet dans un autre article (par exemple ici), mais je peux me permettre de vous en donner un exemple. Lors du siège de la forteresse de Louisbourg par les Britanniques en 1758, le général de l'armée assiégeante, Jeffery Amherst, fait parvenir à plusieurs reprises des ananas, produit de luxe à cette époque, au gouverneur de la place, Mr de Drucourt, pour lui témoigner son respect.
L'image de la guerre en dentelles a parfois pu être utilisée pour accroître la dimension spectaculaire d'une scène. C'est le cas dans le film Le Dernier des Mohicans de 1992, où le réalisateur Michael Mann présente le siège par les Français du fort William-Henry en 1757, et montre une entrevue très courtoise entre Montcalm et Monroe pour la reddition du fort. Je vous invite à consulter l'article dans lequel j'analyse cette scène.


Voilà, c'est tout pour ce premier article plus "complet" sur le mythe de la "guerre en dentelles".
Si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'en faire part, que ce soit sur Facebook (ou par d'autres moyens pour ceux qui me connaissent) ou par le formulaire de contact présent sur ce blogue.
Bonne soirée à toutes et à tous, et à bientôt pour un nouveau billet historique!
Michel Thévenin

Si vous appréciez mes recherches et le contenu de ce blogue, acheter mon premier livre (qui est maintenant disponible en France!) serait une très belle marque d'encouragement (voir à droite, "Envie d'en savoir plus?"). Si vous ne voulez pas vous procurer le livre, mais que vous souhaitez tout de même m'encourager à poursuivre sur cette voie, vous pouvez faire un don via Paypal (voir à droite l'onglet "Soutenir un jeune historien"). Vous pouvez également partager cet article (ou tout autre de ce blogue), vous abonner au blogue ou à la page Facebook qui y est liée. Toutes ces options sont autant de petits gestes qui me montrent que mes recherches et le partage de celles-ci auprès d'un public large et varié sont appréciés, et qui m'encouragent à poursuivre dans l'étude d'aspects souvent méconnus de l'histoire militaire du 18e siècle.

samedi 1 décembre 2018

Candide ou l'interprétation manquée de la guerre selon Voltaire

Imaginez, sur une plaine verdoyante d'Allemagne ou des Flandres, deux lignes d'hommes se faisant face sur plusieurs centaines de mètres. Imaginez des soldats, calmes et impassibles dans leurs uniformes brodés de dentelles, avançant inlassablement sous la canonnade ennemie. Imaginez les fifres et les tambours battant la mesure, imaginez les drapeaux flottant fièrement au vent. Imaginez les officiers rivalisant de mots d'esprit ou invitant poliment leurs adversaires à ouvrir le feu.

Cette petite "envolée lyrique" correspond hélas à l'image la plus courante dans l'imaginaire collectif du 21e siècle lorsqu'il s'agit de décrire la guerre à l'européenne au 18e siècle. Si elle n'est pas complètement fausse, elle est particulièrement réductrice et illustre ce qu'on appelle la "guerre en dentelles".
Voici pour moi l'occasion de vous introduire le deuxième grand thème de ce blogue, à savoir celui de ce mythe de la "guerre en dentelles". Les personnes qui parmi vous me connaissez bien savent à quel point j'ai à coeur de parler de ce sujet, et de déconstruire les représentations erronées que l'on peut voir dans les films historiques à propos de la guerre au 18e siècle.

Ces fausses représentations, et plus généralement le mythe de la "guerre en dentelles" viennent entre autres d'une interprétation biaisée de certaines sources de ce siècle. Par exemple, Voltaire, l'un des plus (le plus?) célèbres penseurs des Lumières, qu'on connait beaucoup pour ses fameux "arpents de neige du Canada", est souvent considéré comme un pacifiste, voire un anti-militariste, qui n'hésite pas à critiquer sans retenue l'absurdité des guerres menées par Louis XV. Je ne m'amuserai pas à faire ici la biographie complète de Voltaire, je préciserai seulement qu'il s'est distingué dans les années 1740 par des récits qui glorifiaient en des termes très militaires et élogieux les guerres du roi de France. En l'occurrence, l'idée d'un Voltaire fermement opposé à la guerre vient du succès de son conte philosophique Candide ou l'optimisme, paru en 1759, soit dans une phase de la guerre de Sept Ans marquée par les désastres français. Son chapitre 3 présente une vision très sarcastique de la guerre, mais dont la lecture a par après servi de base à l'idée de pratiques militaires qui aujourd'hui nous paraissent complètement absurdes.

Alors que je préparais à l'été 2017 une conférence pour les Fêtes de la Nouvelle-France sur ce sujet, je suis tombé sur une vidéo tirée d'une adaptation de Candide par la télévision française en 1962. Cet extrait de moins de 3 minutes met en scène le début du chapitre 3, avec la définition de la guerre que j'ai mentionnée plus haut, et que je souhaitais vous partager.


Personnellement, je trouve que cette vidéo est absolument savoureuse, sur tous les points: gestuelle et voix du narrateur, allusion uniquement sonore à la bataille, mise en scène, le texte en lui-même...

J'espère que vous avez apprécié cette petite "mise en bouche" concernant la guerre en dentelles. Un article complet sur ce mythe que je prends plaisir à confronter suivra sous peu.
Bonne soirée à toutes et à tous!
Michel Thévenin

samedi 24 novembre 2018

Entre enthousiasme et panique: le "Royal-Syntaxe" à la défense de Québec (1759)

Bonjour à toutes et à tous!

Petit sujet insolite pour ce soir, qui vient du siège de Québec de l'été 1759.

Au cours du mois de juin, alors que l'arrivée des Britanniques devant Québec est imminente, les préparatifs s'intensifient pour assurer la défense de la capitale de la Nouvelle-France. Le marquis de Montcalm, commandant les troupes françaises, note dans son journal de campagne en date du 21 juin l'effort apporté par les civils Canadiens pour la défense de la ville. Parmi les différents corps de milice mobilisés par les autorités, on trouve notamment une compagnie de 35 étudiants du Collège des Jésuites, qui se sont portés volontaires malgré leur totale inexpérience militaire. Montcalm relève que des "mauvais plaisants" ont donné le nom de "Royal-Syntaxe" à cette troupe d'enthousiastes étudiants. Je n'ai hélas pas pu trouver dans les sources d'éléments indiquant à qui attribuer cette appellation pour le moins cocasse. Je me permets seulement de noter que plusieurs officiers, Bougainville en tête, sont assez friands de ce type de traits d'esprit. Le nom de "Royal-Syntaxe" fait référence aux noms portés par certains régiments de l'armée française, pour lesquels je m'accorderai une courte digression.

Les régiments français de l'armée d'Ancien Régime comportaient plusieurs catégories de dénomination. Un régiment pouvait porter le nom d'une province du royaume (plus fréquent dans l'infanterie), on trouve ainsi par exemple des régiments de Navarre, d'Aquitaine, de Bourgogne, et pour les troupes combattant en Amérique avec Montcalm les régiments de Béarn, Berry, ... Il pouvait également porter le nom de son propriétaire; régiment de Penthièvre, régiment de Biron, ou encore régiment de Montcalm-cavalerie (créé par le marquis de Montcalm lors de sa carrière européenne). Enfin existaient les régiments dits "royaux", dont le roi était directement propriétaire. On retrouve sous ce nom des régiments étrangers (Royal-Écossais, Royal-Suédois) mais également français comme le Royal-Roussillon, qui a combattu en Nouvelle-France. 

Pour revenir au siège de Québec, le nom de "Royal-Syntaxe" donné aux étudiants du Collège des Jésuites est sans doute une pique dédaigneuse lancée à l'enthousiasme débordant de ces jeunes gens qui se rêvent les défenseurs ardents de la ville.

Hélas pour eux, la seule action militaire où l'on sait que ce "Royal Syntaxe" est intervenu a tourné au fiasco total. Les Britanniques arrivent devant Québec le 27 juin, et décident d'occuper les hauteurs de la Pointe-Lévis, sur la rive sud du Saint-Laurent, face à Québec, afin d'y ériger des batteries d'artillerie destinées au bombardement de la ville. Le 11 juillet, des notables canadiens demandent au gouverneur Vaudreuil l'autorisation de monter un corps de volontaires pour traverser le fleuve et expulser les assiégeants de Lévis. Le détachement réunit environ 1500 hommes, parmi lesquels on retrouve des soldats des troupes régulières, des Amérindiens, et des miliciens, parmi lesquels nos héros du Royal-Syntaxe. Au soir du 12 juillet, la troupe franchit le fleuve et se dirige vers les positions britanniques. Une source française hélas anonyme relate sans complaisance l'échec de l'expédition:
''Après qu'on eut marché quelques temps, des hommes de la queue voulant gagner la tête, prirent sur les côtés par dedans le bois, et lorsqu'ils revinrent à joindre le gros, des écoliers les prirent pour des ennemis, et les fusillèrent. Il y eut un homme tué et deux blessés. Sur cette fusillade une terreur panique s'empara de tous les Canadiens; par les vives représentations des officiers ils parurent reprendre courage et se remirent à marcher, mais lorsqu'ils furent arrivés à une petite distance de la redoute qui couvrait la batterie, qui faisait l'objet de leur mission, la terreur les reprit, et rien ne fut capable de leur ranimer le courage; ni les prières, ni les menaces des officiers. Nombre jetèrent leurs fusils et leurs haches, et se mirent à courir pour gagner les bateaux, et à six heures du main tout le détachement avait repassé le fleuve".
C'est sur cette déroute que se termine cet article, tout comme la (trop courte) carrière du Royal-Syntaxe. À bientôt!
Michel Thévenin.

lundi 19 novembre 2018

De la difficulté de définir le siège au 18e siècle

Bonjour à toutes et à tous!

Au cours de mes recherches de maîtrise, avant même de m'intéresser au modèle de la guerre de siège européenne du 18e siècle, j'ai eu la curiosité (bien utile) de vouloir comprendre ce que les contemporains entendaient par "siège". Je me suis donc plongé dans les différents dictionnaires de la fin du 17e et du 18e siècle, et croyez-moi, il y a une belle diversité (et une certaine évolution) dans la définition du siège. C'est ce que je souhaite partager avec vous aujourd'hui car, puisque je vous parlerai fréquemment de cette guerre de siège au 18e siècle, il me semblait judicieux de prendre le temps de vous en donner une définition.

Le grammairien français César-Pierre Richelet écrit par exemple dans son Dictionnaire françois en 1680: "Ce mot se dit en parlant de guerre. C'est le campement d'une armée qui s'est retranchée autour d'une place qu'elle veut emporter". La même concision se retrouve dans le Dictionnaire de l'Académie Française, tant dans sa première édition de 1694 que dans celles de 1718, 1740 ou 1762. Le siège désigne ici "les travaux et les attaques qu'une armée campée devant une place fait pour la prendre".

L'abbé Antoine de Furetière apporte pour sa part une précision de taille dans son Dictionnaire universel, publié à titre posthume en 1690. Sous la plume de l'ecclésiastique, le siège "en termes de guerre, est le campement d'une armée tout autour d'une place qu'elle a envie de prendre, soit par famine, en faisant simplement des lignes pour empêcher que rien n'y entre; soit par vive force, en faisant des tranchées et y donnant des assauts". On voit la volonté de Furetière de clarifier la définition du siège, de dépasser le seul but de celui-ci, à savoir la prise d'une ville, en identifiant plusieurs des moyens mis en oeuvre pour y parvenir.

Un effort semblable est visible dans l'oeuvre majeure des penseurs des Lumières, l'Encyclopédie. Dans l'article "siège", rédigé conjointement par D'Alembert, le chevalier de Jaucourt et Guillaume Le Blond et long de cinq pages, les auteurs prennent le soin, contrairement à la majorité de leurs prédécesseurs, de distinguer les différents types de siège:
"Les sièges peuvent se diviser en plusieurs espèces, suivant la nature des villes qu'on doit attaquer, et la méthode qu'on y emploie. Le premier est le siège royal ou le véritable siège; c'est celui dans lequel on fait tous les travaux nécessaires pour s'emparer de la place, en chassant successivement l'ennemi de toutes les fortifications qui la défendent; cette sorte de siège ne se fait qu'aux villes considérables et importantes, et c'est de ce siège qu'on entend parler ordinairement, lorsqu'on dit qu'une armée fait le siège d'une place. Le siège qui ne demande point tous les travaux du siège royal se nomme simplement attaque; c'est pourquoi, lorsqu'un corps de troupes est envoyé pour s'emparer d'un poste important, comme d'un château ou de quelqu'autre petit lieu occupé par l'ennemi, on ne dit point qu'on va en faire le siège, mais l'attaque."
Siège de Fribourg-en-Brisgau, 11 octobre 1744,
 Pierre-Nicolas Lenfant, Collections du Château de Versailles
La plupart des tableaux évoquant un siège aux 17e et 18e siècles mettent en scène 
ce que Le Blond appelle siège royal

Cette définition de l'Encyclopédie est la plus complète qu'il m'ait été donné d'observer dans les différents dictionnaires de cette période, et c'est celle qui a guidé ma réflexion tout au long de mon mémoire.
Ce même article de l'Encyclopédie nous expose également la divergence d'opinions parmi les auteurs du 18e siècle concernant la définition du siège, et surtout l'utilisation parfois erronée de cette appellation au profit d'autres types d'opérations militaires:
"M. de Folard, dans son Traité de l'attaque et de la défense des places des anciens, blâme avec raison ceux qui confondent le siège avec le blocus ou le bombardement. Il attaque à ce sujet un officier d'artillerie, qui dans un mémoire donné à l'Académie des Sciences, sur la méthode de tirer les bombes avec succès, ne met aucune différence entre un siège dans les formes et un bombardement. Voici, dit-il, ce que j'ai pratiqué aux sièges de Nice, Alger, Gênes, Tripoli, Palamos, Barcelone, Alicante, et nombre d'autres places que j'ai bombardées. "Qui ne croirait, en lisant cela, dit M. de Folard, qu'Alger, Gênes et Tripoli, ont soutenu un siège? Et ces sièges sont imaginaires, du moins de son temps. Ces trois villes furent bombardées par mer, et personne ne mit pied à terre; c'est donc improprement qu'on se sert du terme de siège, lorsqu'il s'agit d'un bombardement, confondant ainsi l'un avec l'autre"."
Scène de bombardement
gravure tirée de Théorie nouvelle sur le mécanisme de l'Artillerie
par Joseph Dulacq, 1741. 

L'un des auteurs de cet article de l'Encyclopédie, Guillaume Le Blond, a également publié en 1743 un Traité de l'attaque des places, dans lequel il consacre une section entière, d'une vingtaine de pages, à la "définition ou explication des termes les plus en usage dans la guerre des sièges". Fait intéressant, on voit dans ce traité de 1743 l'évolution de la terminologie du siège. La définition que faisait Richelet du siège en 1680 n'est plus qu'une sous-catégorie des différentes manières de prendre une place selon Le Blond, qu'il nomme "blocus":
"Faire le Blocus d'une Place, c'est l'entourer de différents corps de troupes qui en ferment les avenues de tous les côtés, et qui ne permettent point de faire entrer ou sortir aucune chose de la Place. L'objet du Blocus, est d'obliger ceux qui sont enfermés dans une Ville de consommer toutes leurs provisions de bouche, et de les obliger à la rendre, n'ayant plus de quoi y subsister. On voit par là qu'un Blocus doit être fort long, lorsqu'une Place est bien munie; aussi ne prend-on guère le parti de réduire une Place par ce moyen qu'on ne soit informé que ses magasins sont dégarnis, ou bien lorsque la nature ou la situation de la Place ne permet pas d'en approcher pour en faire les attaques à l'ordinaire."
Voilà un petit aperçu de la difficulté de définir ce qu'est un siège au 18e siècle en Europe. Personnellement j'ai bien apprécié passer au travers de ce type de sources, regarder le sens des mots que l'on étudie remis dans le contexte de l'époque est je trouve toujours utile.

Michel Thévenin

dimanche 18 novembre 2018

Petite présentation de mon mémoire

Bonjour à toutes et à tous!

Plusieurs d'entre vous êtes déjà au courant que j'ai déposé mon mémoire de maîtrise à l'Université Laval cet été 2018, débouchant sur un doctorat que j'ai débuté, toujours à Laval, au mois de septembre.
Pour les autres, je me permets une rapide présentation de mon mémoire qui est venu clore mes quatre années de recherche de maîtrise.

Ma recherche portait sur la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (plus connue ici au Québec sous le nom de "guerre de la Conquête").
J'ai cherché à comprendre comment les officiers de l'armée française, en arrivant en Amérique, ont-ils pu confronter leur expérience de la guerre de siège européenne au contexte particulier de la Nouvelle-France. J'ai donc du définir ce modèle militaire de la guerre de siège européenne, avec un intérêt certain pour l'inévitable figure de Vauban, avant de m'intéresser aux écrits de ces officiers ayant servi en Amérique.
Au cours de cette recherche j'ai pu commencer à découvrir une catégorie de personnages bien particuliers, les ingénieurs militaires. J'ai donc décidé, dans la lignée de ma maîtrise, d'y consacrer ma recherche de doctorat (ou plus exactement, je travaille sur les ingénieurs militaires et les artilleurs en Amérique du Nord au 18e siècle, dans la même logique que celle de ma maîtrise).

Pour les personnes intéressées, j'ai eu l'occasion de présenter mon mémoire de maîtrise le 10 octobre dernier lors d'une entrevue à l'émission de radio "3600 secondes d'histoire", dont voici l'enregistrement.

Également, depuis la mi-octobre, mon mémoire est disponible en ligne sur le site de la bibliothèque de l'Université Laval.

Bonne écoute et bonne lecture!
Michel Thévenin



samedi 17 novembre 2018

Erreur (fatale) sur la personne: la mort de l'ingénieur De Combles

Bonjour!

Pour ce premier article, j'ai choisi un thème cocasse, quoique tragique: la mort accidentelle d'un ingénieur militaire français pendant la guerre de Sept Ans.

À l'été 1756, alors que la guerre de Sept Ans vient d'être déclarée en Europe entre la France et la Grande-Bretagne, les deux nations combattent en Amérique du Nord depuis deux ans. Prévoyant, Louis XV a envoyé à sa colonie de Nouvelle-France des renforts militaires, menés par le marquis de Montcalm. Peu après son arrivée, celui-ci entreprend une action offensive, en allant assiéger les forts britanniques de Chouaguen (situés dans l'actuelle ville d'Oswego, dans le nord de l'État de New York, sur la rive sud du lac Ontario).

Pour préparer le siège, Montcalm peut compter sur le savoir-faire des deux ingénieurs militaires qui l'accompagnent. 
J'en profite pour faire une petite digression: il est ici question des ingénieurs militaires, qui sont au coeur de mes préoccupations pour le doctorat que j'ai débuté à l'Université Laval. J'aurai l'occasion dans d'autres articles de revenir plus longuement sur le modèle européen de la guerre de siège et sur les actions des ingénieurs, mais pour résumer rapidement, les ingénieurs militaires sont les "scientifiques" de cette guerre de siège, ceux qui disposent du savoir-faire théorique et technique pour qu'un siège réussisse. L'une de leurs tâches consiste notamment à aller observer les fortifications ennemies, soit avant un siège soit au début de celui-ci, pour déceler les points faibles de la place assiégée, et les plus propices à une attaque efficace. 



Illustration d'Eugène Leliepvre représentant Montcalm et des officiers de son état-major, 
parmi lesquels un ingénieur militaire (agenouillé à gauche)

En prévision du siège de Chouaguen/Oswego, Montcalm envoie au mois de juillet l'un de ses ingénieurs, Jean-Claude-Henri de Lombard de Combles, pour aller reconnaître les forts britanniques. Celui-ci, partant du fort Frontenac (actuelle Kingston, Ontario), réussit pleinement sa mission. À son retour à Frontenac le 30 juillet, il dresse un plan des fortifications britanniques, qui a été conservé par les Archives Nationales d'Outre-Mer françaises:


Plan de la Rivière et des Forts de Chouaguen 
relatif à la reconnaissance que j'en ay fait 
le 25 juillet 1756. 
Plan dressé le 30 juillet 1756 par l'ingénieur De Combles.
 Archives Nationales d'Outre-Mer 

Je trouve ce document extrêmement intéressant puisqu'en plus d'un plan détaillé des forts ennemis, l'ingénieur a pris le soin de dessiner une première proposition des travaux de siège qui seront à mener pour s'en emparer.

Le 10 août 1756, l'armée de Montcalm débarque près des forts de Chouaguen. De Combles, nommé ingénieur en chef pour ce siège, décide de procéder à une nouvelle reconnaissance des forts le lendemain matin, en compagnie de son collègue ingénieur Jean-Nicolas Desandrouins. Au matin du 11 août, les deux ingénieurs ainsi que quelques officiers partent en direction des bois entourant les forts britanniques, accompagnés d'une escorte de guerriers amérindiens. Laissant leurs compagnons et leurs gardes en retrait, les deux ingénieurs s'avancent pour observer les fortifications. Mais alors qu'il revient vers ses compagnons, de Combles est malencontreusement pris pour cible par l'un des alliés autochtones, qui a confondu l'uniforme rouge de l'ingénieur avec celui des Britanniques... De Combles meurt de sa blessure sur le chemin du retour. L'incident plonge les officiers français dans l'embarras, Montcalm notant dans son journal de campagne que "cette perte fut avec raison regardée comme considérable, ne restant qu'un seul ingénieur" pour le siège, à savoir Desandrouins.  

On peut imaginer la réaction de Bougainville et de ses collègues officiers
 en apprenant la cause de la mort de De Combles...

La mort de l'ingénieur ne coupe cependant pas les Français dans leur élan. Pierre Pouchot, un officier des troupes de Terre qui possède de solides connaissances en Génie, remplace le défunt pour épauler Desandrouins. Après un siège rapide, la garnison britannique capitule le 14 août.

Pour l'anecdote, l'Autochtone ayant tué de Combles, nommé Ochik (ou Hotchig, Aoussik, les officiers ont visiblement du mal à s'accorder sur son nom...), affligé par sa fatale erreur, a redoublé d'efforts pour nuire aux Britanniques, dans le but de se faire pardonner. Pouchot mentionne par exemple dans son journal que "Plus de 33 Anglais tombèrent sous ses coups dans le courant d'une année". 

Voilà pour ce premier article, j'espère que l'anecdote vous aura diverti.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
   Michel Thévenin


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Briser la glace

Bonjour et bienvenue sur ce blogue d'histoire du 18e siècle.

Je me nomme Michel Thévenin, historien et doctorant à l'Université Laval de Québec.

Après bien des tentatives, mon collègue et très cher ami Joseph Gagné a réussi à me convaincre de me lancer à mon tour dans la diffusion de l'Histoire sur Internet. J'en profite pour le remercier chaleureusement pour son aide si précieuse dans la conception de ce blogue.

Celui-ci sera dédié au partage de mes activités en tant qu'historien. En plus d'annonces concernant mes prochaines conférences, communications et publications, je ferai la part belle à des éléments de mes recherches de maîtrise et de doctorat. Il sera ainsi question de la guerre de siège au 18e siècle (d'où le titre), ainsi que de ses dérivés: ingénieurs militaires, fortifications, artillerie. Il m'arrivera également de présenter des sujets sur des thématiques plus larges de la guerre au 18e siècle, comme le mythe de la guerre en dentelles (certaines personnes qui me connaissent bien savent à quel point j'ai à coeur de déconstruire cette vision péjorative de la guerre au 18e siècle).

Histoire de fêter en grand mes débuts en tant que blogueur, et surtout de vous donner du contenu à lire (avec grand intérêt, si ce n'est passion?), plusieurs articles viendront au cours des prochains jours, puis d'autres suivront à un rythme que j'espère régulier.

Dans la mesure du possible, j'essayerai d'accompagner mes textes de documents iconographiques, si possible d'époque.

À très bientôt pour les premières pierres "historiques" de cet édifice!



La bataille de Fontenoy (détail), Félix Henri Emmanuel Philippoteaux,
1873, Victoria & Albert Museum, Londres


Michel Thévenin