jeudi 20 décembre 2018

Vauban, ou la rationalisation de la guerre de siège au service du Roi-Soleil

Bonjour à toutes et à tous!

Après vous avoir exposé les multiples définitions du siège au 18e siècle, il est temps pour moi de vous présenter un aspect qui s'est retrouvé au fondement de ma réflexion sur la guerre de siège: le rôle de Vauban dans l'édification d'une guerre de siège "scientifique" à la fin du 17e siècle.

Vauban: ce nom reste indéniablement attaché à celui de l'apogée de l'art d'attaquer les places dans l'Europe des 17e et 18e siècles. Bâtisseur de forteresses toutes plus puissantes les unes que les autres, incomparable preneur de villes, les qualificatifs pour désigner Sébastien Le Prestre de Vauban et son impact sur l'art de la guerre ne manquent pas. Cet ingénieur militaire qui a passé sa vie au service de Louis XIV a laissé une marque durable sur le patrimoine militaire français. On compte en effet par dizaines les vestiges de citadelles construites ou améliorées par Vauban, et encore visibles au moins partiellement sur le territoire français. D'ailleurs, n'attribue-t-on pas le vocable de "fort à la Vauban" à n'importe quelle fortification bastionnée (qu'on reconnaît à sa forme en étoile)? Je précise en passant que cette appellation relègue à l'oubli le long processus de développement des fortifications aux 16e et 17e siècles et dont Vauban n'est qu'un aboutissement...Toujours est-il qu'ayant lui-même dirigé ou participé à près de cinquante sièges, Vauban a acquis une expérience de la guerre de siège qui lui a permis d'en livrer un modèle théorique, qu'il a ensuite constamment perfectionné, et qui a servi de référence à l'ensemble des armées européennes pendant un siècle et demi. Le dernier siège obéissant aux règles édictées par Vauban est celui de la ville belge d'Anvers, en 1832. 

Sébastien Le Prestre de Vauban, maréchal de France,
par Charles-Philippe Larivière, 1834, préfecture de Lille

Contrairement à ce que certains de ses admirateurs ont affirmé, Vauban a peu "inventé" en termes de siège. Sa principale innovation, testée en 1688 lors du siège de Philippsbourg, est le tir à ricochet. Celui-ci permet au boulet, par des calculs d'angles et de quantité de poudre utilisée dans la charge, de frapper plusieurs endroits par ricochet, pouvant par exemple réduire au silence plusieurs canons en un seul tir.

Tout le génie de Vauban repose sur la formidable synthèse qu'il fait de la poliorcétique européenne (du grec poliorkein, assiéger une ville) et de ses pratiques, empruntant et améliorant par exemple l'usage des tranchées d'approches (qui existaient déjà de manière plus ou moins efficace depuis le 16e siècle). En 1704, il remet à Louis XIV un Mémoire, pour servir d'instruction dans la conduite des sièges et dans la défense des places (une version améliorée par trente années d'expérience d'un premier mémoire écrit en 1672), dans lequel il propose un modèle théorique du siège idéal, car scientifique et rationnel (et terriblement efficace).

Le siège idéal "à la Vauban" se déroule selon douze étapes très codifiées:
- investissement de la place: l'armée assiégeante isole la place assiégée, et la coupe de toute communication avec l'extérieur;

- installation de l'armée de siège: l'assiégeant installe ses campements face à la place assiégée. une ligne de retranchements, la contrevallation, fait face à la place, pour gêner les sorties de la garnison. Une deuxième ligne, la circonvallation, est tournée vers l'extérieur et destinée à contrer les éventuels secours ennemis;

- reconnaissances: les ingénieurs observent les fortifications de la place et en évaluent le point le plus propice à l'attaque, en jugeant tant la nature et la force des fortifications que le terrain les précédant;

- travaux d'approche: en partant de la ligne de contrevallation (à environ 2 400 mètres de la place), deux tranchées, parfois plus, progressent en direction de la place, en zig-zag pour éviter les tirs d'enfilade des assiégés;

- première parallèle: à 600 mètres de la place, les tranchées d'approche sont reliées par une tranchées parallèle au front attaqué, autrement appelée place d'armes. Cette parallèle sert à la communication entre les tranchées d'approche, mais également à masser les troupes et l'artillerie;

- deuxième parallèle: au-delà de la première parallèle, les tranchées d'approche continuent leur progression jusqu'à 350 mètres des fortifications assiégées, où une deuxième parallèle est creusée;

- installation des batteries: en théorie, les premières batteries d'artillerie sont installées sur la deuxième parallèle. Dans les faits, de nombreux généraux en installent dès le creusement de la première parallèle, même si la distance réduit l'efficacité des tirs;

- troisième parallèle: une fois que les tranchées d'approche sont parvenues au pied du glacis (talus de terre et d'herbe qui monte doucement en direction des fortifications), construction d'une troisième et dernière parallèle (il arrive exceptionnellement qu'une quatrième parallèle soit creusée sur le glacis, si la place est suffisamment imposante et si sa garnison résiste au-delà des attentes);

- couronnement du chemin couvert: l'assiégeant refoule les défenseurs du chemin couvert (la première ligne de retranchement au sommet du glacis);

- préparation de l'assaut: installation des batteries de brèche (pièces d'artillerie à forte puissance de feu, installées à faible distance de l'ouvrage attaqué et permettant d'y créer une brèche);

- descente au fossé: rassemblement des troupes destinées à l'assaut, sur la troisième parallèle, face à la future brèche;

- assaut: une fois la brèche pratiquée, charge de l'infanterie assiégeante, entraînant dans la majorité des cas la reddition de la place. Après la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), l'usage de l'assaut est de plus en plus rare, les garnisons se rendant souvent une fois la brèche ouverte dans les fortifications.

Gravure tirée de Éléments de la guerre des sièges, ou traité de l'artillerie, de l'attaque 
et de la défense des places, Guillaume Le Blond, 1743.

La pensée de Vauban concernant la guerre de siège s'inscrit dans le contexte intellectuel et scientifique du 17e siècle européen. Vauban, à l'instar de ses contemporains, est imprégné du courant du rationalisme, qu'on retrouve notamment chez Descartes. Il conçoit donc le siège de manière rationnelle, et en propose une approche scientifique, calculée, méthodique. Le siège à la Vauban est certes long et coûteux en matériel (Vauban estime que pour ouvrir une brèche dans les fortifications, 1 000 tirs d'artillerie de brèche sont nécessaires), mais il garantit la chute de la place assiégée.

Le modèle de la guerre de siège élaboré par Vauban a été immédiatement observé, copié et utilisé par l'ensemble des armées européennes de la fin du 17e siècle et du 18e, et connaîtra peu d'évolutions jusqu'aux années 1830. C'est également ce modèle de guerre de siège qui sera importé, à différentes échelles, par les armées européennes lorsqu'elles combattront en milieu colonial (un prochain article présentera les sièges "à l'européenne" en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans).

À bientôt!
Michel Thévenin

2 commentaires:

  1. Bonjour Monsieur Thévenin,
    N'ayant pas les possibilités, suite au conséquences du virus, à m'en occuper directement du Fort des Basses Perches situant à proximité de Belfort, je me promène une grande partie de la journée sur le net où j'ai découvert votre site de grande qualité comme les ouvrages du génie Vauban.
    La fin du siège de Belfort a eu lieu en février 1871 au fort des Basses Perches à proximité de la citadelle "Origine de Vauban".
    En lisant votre étude je m'aperçois que les prussiens ont appliqué la méthode Vauban décrite dans votre article.
    Lors des visites du fort par le public je parle souvent de cette méthode d'attaque des prussiens en mentionnant le siège de Maastricht.
    Je suis très content avoir découvert votre site qui me permet à enrichir mes explications de l'attaque et bien sûr aussi à compléter mon site internet www.fortbasesperches.com
    Votre avis M. Thévenin.
    Frederik Alberda - Responsable de l'Amicale du Fort des Basses Perches

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    1. Bonjour Monsieur,

      J'avoue peux connaître les sièges de la fin du 19e siècle. Dans les lectures que j'ai effectuées sur la guerre de siège de Vauban, plusieurs auteurs mentionnaient que le dernier siège à avoir véritablement respecté les règles de Vauban était le siège d'Anvers de 1832. Mais il est tout à fait possible que des éléments aient été repris par après, y compris à Belfort en 1871.

      J'ai brièvement regardé votre site, il s'annonce très intéressant!

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