lundi 30 décembre 2019

Un 30 décembre en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans

Bonjour!

Aujourd'hui est une date spéciale pour moi, puisqu'il s'agit tout simplement de mon anniversaire. 
Je me suis demandé, par curiosité, ce que les sources que j'utilise pour étudier la guerre de Sept Ans dévoilent pour cette date du 30 décembre.

Une rapide recherche m'a permis de constater que cette date apparaît très peu, ce qui est relativement compréhensible, les sources que j'utilise émanant principalement d'acteurs militaires du conflit, or l'hiver est une saison plus "calme" en termes d'opérations militaires...

Ainsi, dans l'ensemble des journaux d'officiers français (et leurs correspondances) dont je dispose, j'ai trouvé deux mentions du 30 décembre.

La première se trouve dans le journal de campagne du marquis de Montcalm, commandant des troupes françaises en Nouvelle-France à partir de 1756. Il s'agit d'une allusion à une série de rencontres faites le 30 décembre 1756 entre le marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, et plusieurs délégations d'alliés autochtones, et des festivités les entourant.

La deuxième est une lettre du 30 décembre 1757 du marquis de Montcalm à son second, le chevalier de Lévis. La lettre est assez longue, et tourne principalement autour d'affaires diverses concernant l'organisation de l'armée (en effet, même si l'hiver est une saison où l'on ne livre traditionnellement pas de combats, les armées ne restent pas inactives, et préparent la campagne suivante).

Plusieurs sujets sont évoqués, comme les besoins en artillerie des forts Frontenac et Niagara ou les vivres et munitions nécessaires à une hypothétique expédition sur le fort Lydius (nom donné par les Français au fort Edward, situé à quelques kilomètres du fort William Henry, que Montcalm avait assiégé victorieusement en août 1757). La rédaction d'un mémoire concernant ce projet d'expédition est confiée au chevalier Le Mercier, officier français commandant de l'artillerie du Canada qui s'était tristement illustré lors du lamentable échec contre William Henry en mars 1757. Le mémoire en question sera présenté en mars 1758 par Le Mercier à Montcalm.

Montcalm nous renseigne également sur les tensions pouvant exister entre les troupes de la Marine et les régiments réguliers, évoquant les querelles concernant l'affectation d'officiers d'artillerie nouvellement arrivés dans la colonie et la volonté de chacun des corps d'armée d'accueillir ces officiers spécialisés...

Montcalm conclue sa lettre sur un tout autre sujet, qui intervient à plusieurs reprises dans sa correspondance échangée avec Lévis: les soirées de jeu que donne chez lui l'intendant Bigot.




À ce sujet, je vous invite à faire un tour sur mon article faisant un récapitulatif de ma participation aux Fêtes de la Nouvelle-France d'août 2019 à Québec. J'ai en effet donné en compagnie de mon excellent ami Joseph Gagné une conférence consacrée au divertissement militaire en Nouvelle-France au 18e siècle, et j'y ai évoqué le jeu des officiers chez l'intendant. Des extraits vidéos de cette conférence accompagnent mon article, notamment l'extrait où je parle du jeu. L'article et les vidéos sont disponibles ici.

Voilà qui clôt ce petit article pour aujourd'hui.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources:

- Henri-Raymond Casgrain, Journal du marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1756 à 1759, Québec, Imprimerie L-J Demers & Frère, 1895.
- Henri-Raymond Casgrain, Lettres du marquis de Montcalm au chevalier de Lévis, Québec, Imprimerie L-J Demers & Frère, 1894, Lettre du 30 décembre 1757, p. 107-111.

jeudi 19 décembre 2019

Louisbourg 1758, Montréal 1760: Jeffery Amherst et l'absence de "reddition honorable".

Bonsoir!

Je vous ai déjà parlé dans d'autres articles de la reddition des places au 18e siècle, et plus particulièrement de ce qu'on appelle la reddition "honorable". J'ai par exemple évoqué les redditions de Québec (voir ici) et de Niagara (ici) en 1759, ou encore celle du fort William Henry de 1757 et son traitement dans le film Le Dernier des Mohicans (voir ici).

J'aimerais ici m'intéresser aux cas contraires, ceux pour lesquels une garnison assiégée se voit refuser les "honneurs de la guerre".

Refuser les honneurs de la guerre à une garnison peut être perçu comme une volonté d'humilier le vaincu, surtout si celui-ci a opposé une défense vigoureuse. C'est une atteinte directe à l'honneur des officiers de la garnison, et un geste allant à l'encontre des codes de courtoisie et de respect mutuels entre nobles.

Un exemple permettant de comprendre l'humiliation que représente un refus des honneurs de la guerre en cas de belle défense est celui du siège de Louisbourg par les Britanniques en 1758. La garnison de la puissante forteresse française de l'Isle Royale (voir ici une courte vidéo sur l'histoire de cette forteresse) capitule le 26 juillet 1758, au terme d'un siège éprouvant de 45 jours, durée particulièrement longue pour l'époque (voir ici mon article sur la durée qu'on considère "normale" d'un siège au 18e siècle). Malgré la très belle défense de la garnison commandée par le chevalier de Drucour, gouverneur de Louisbourg, le général britannique Jeffery Amherst refuse aux Français les honneurs de la guerre, et renvoie les troupes françaises en Europe, pour y être échangées contre des prisonniers britanniques.

Portrait de Jeffery Amherst par Joseph Blackburn, 1758,
Mead Art Museum, Amherst (Massachussetts)

La réaction du ministre de la guerre, le maréchal de Belle-Isle, est on ne peut plus claire quant à l'humiliation que représente ce refus des honneurs de la guerre. Dans une lettre du 19 février 1759 au marquis de Montcalm, commandant de l'armée française en Amérique, il enjoint ce dernier à n'accepter en aucun cas de telles conditions lors d'éventuelles redditions futures:

"J'ai répondu de vous au Roi; je suis bien assuré que vous ne me démentirez pas, et que, pour le bien de l'État, la gloire de la nation et votre propre conservation, vous vous porterez aux plus grandes extrémités plutôt que de jamais subir des conditions aussi honteuses que celles qu'on a acceptées à Louisbourg, dont vous effacerez le souvenir."
Si les Français réussissent à obtenir des conditions assez avantageuses lors de la capitulation de Québec le 18 septembre 1759, la dernière campagne en Nouvelle-France en 1760 voit à deux reprises l'honneur des armes françaises bafouées par un refus britannique d'accorder aux vaincus une reddition honorable: au fort Lévis le 25 août et quelques jours plus tard, le 8 septembre, à Montréal.

Dans les deux cas, le général britannique est Jeffery Amherst, celui-là même qui avait déjà refusé les honneurs de la guerre à la garnison de Louisbourg. Dans le cas de Montréal, la reddition a lieu sans combat, le marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, réalisant le désespoir de la situation (2 à 3 000 soldats français faisant face à 18 000 Britanniques), et signant ainsi la capitulation des dernières forces de la colonie. Dans sa proposition de capitulation, Vaudreuil demandait les honneurs de la guerre pour les troupes françaises, afin de saluer leur résistance presque désespérée pendant cinq années. Amherst refuse cette marque honorable, précisant au contraire que
"Toute la garnison de Montréal doit mettre bas les armes, et ne servira point pendant la présente guerre".



L'injure est plus grande encore pour l'armée française qu'à Louisbourg. Alors que la garnison de Drucour, prisonnière de guerre, avait été ramenée et échangée en Europe, les troupes du chevalier de Lévis (successeur de Montcalm à la tête des troupes françaises depuis la mort de celui-ci en défendant Québec en 1759) sont renvoyées, libres, en France, mais avec l'interdiction de combattre pour le restant du conflit. L'intention pour les Britanniques est ici de priver Louis XV de soldats et d'officiers expérimentés. Mais en plus d'atteindre l'honneur des officiers de la garnison, cette clause met un sérieux frein aux possibilités de carrière future pour ces nobles ayant fait de la guerre leur métier...

L'argument principal des Britanniques pour justifier leur sévérité quant aux garnisons françaises est l'usage de représailles pour punir les Français de leur conduite de la guerre. L'argument fait référence aux exactions commises par les Autochtones alliés aux Français, aux pratiques jugées "barbares" par les Européens (l'exemple le plus éclatant étant le massacre d'une partie de la garnison britannique du fort William Henry en 1757). J'ai présenté dans un colloque à Wendake en juin 2018 une communication traitant de ces questions de violences "européennes" et "amérindiennes" de la guerre de siège, et du discours les entourant. Vous pouvez regarder la vidéo de cette communication (20 minutes) ici.

Mais dans le cas de Montréal, il existe une autre hypothèse pouvant expliquer le comportement de Jeffery Amherst. Le journal de campagne du comte de Malartic, un des officiers français ayant servi en Nouvelle-France, est publié en 1890 par son arrière petit-neveu. Ce dernier, évoquant la reddition de Montréal, précise en note:
"Amherst, le général qui avait capitulé à Clostersevern, voulait prendre sa revanche au Canada. Aussi se montra-t-il impitoyable, et refusa-t-il les honneurs militaires à des soldats qui pourtant les avaient bien mérités".
Le descendant de Malartic juge ainsi que le comportement d'Amherst ne serait rien d'autre qu'une vengeance personnelle, faisant référence à un événement ayant eu lieu quelques années avant la capitulation de Montréal.

Le déclenchement  officiel de la guerre de Sept Ans en 1756 contraint les Britanniques à assurer la défense de l'électorat de Hanovre, possession personnelle du roi George II de Grande-Bretagne située au nord-ouest de l'Allemagne. Le monarque décide pour cela de payer des troupes allemandes, commandées par son propre fils, le duc de Cumberland. Plusieurs officiers britanniques accompagnent ce dernier, dont Jeffery Amherst. L'année 1757 voit une armée française, commandée par le maréchal d'Estrées, battre l'armée de Cumberland à la bataille de Hastenbeck (le 26 juillet). Comble de l'ironie, au lendemain même de la victoire, d'Estrées est remplacé par le maréchal de Richelieu, le vainqueur de Minorque (voir mon article sur le siège de Minorque de 1756 ici). Richelieu s'empresse de signer avec Cumberland la convention de Klosterzeven, qui consacre l'invasion victorieuse du Hanovre. La convention entraîne la démobilisation de l'armée de Cumberland, à l'exception des troupes hanovriennes, qui ont cependant interdiction de combattre pour le restant de la guerre.

Portrait de Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu, maréchal de France,
par Jean-Marc Nattier, 1732, Museu Caliste Gulbenkian, Lisbonne

Portrait de William Augustus, duc de Cumberland,
par Joshua Reynolds, 1758,
The Devonshire Collection, Chatsworth, Royaume-Uni

La convention de Klosterzeven est ressentie comme une humiliation extrême en Grande-Bretagne, tant pour les officiers britanniques présents en Allemagne que pour le fils du roi qui les commande, et donc par extension pour George II lui-même. Elle est immédiatement rejetée par le roi et par le Parlement, ce qui entraînera une poursuite (malheureuse pour les Français) du conflit en Allemagne. Petite ironie de l'Histoire, cette capitulation honteuse de Klosterzeven, à laquelle Jeffery Amherst a eu le déplaisir de prendre part, a été signée le 8 septembre 1757. Trois ans plus tard, jour pour jour, Amherst faisait capituler Montréal...

Hormis cette mention du descendant de Malartic, rien ne permet de confirmer l'idée d'une vengeance "personnelle" d'Amherst dans son refus d'une reddition honorable pour les garnisons de Louisbourg, du fort Lévis ou de Montréal, mais l'anecdote reste amusante...

Mais le refus des honneurs de la guerre n'est pas une spécificité d'Amherst, ni même britannique. Maurice de Saxe, le brillant maréchal saxon de Louis XV et glorieux vainqueur de Fontenoy, avait usé d'une telle sévérité lors de la prise de Bruxelles par les Français en 1746. Le siège de la ville commence le 7 février (Maurice de Saxe faisant ici la surprise d'une campagne hivernale), et à partir du 10 février, les Français sont en mesure de bombarder la ville. C'est le moment choisi par le commandant de la place pour demander une capitulation, et les honneurs de la guerre pour sa garnison. Le général assiégeant lui répond alors: "Vous avez commis la faute de mettre une garnison à Bruxelles qui n'est point une place tenable. Il n'existe aucun moyen de secourir Bruxelles. Il est juste que nous en tirions avantage". La garnison se rend finalement le 20 février, et est faite prisonnière sans recevoir les honneurs de la guerre.

Siège de Bruxelles de 1746, Louis-Nicolas Van Blarenberghe, 1781, Collections du Château de Versailles




Voilà qui clôt ce article pour aujourd'hui.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques, et je vous souhaite un très joyeux temps des Fêtes!


MISE À JOUR DU 29 NOVEMBRE 2021:

L'hypothèse d'une "vengeance" d'Amherst liée à sa présence à la honteuse capitulation de Klosterzeven trois ans jour pour jour avant cette de Montréal n'est pas que la lubie du descendant de Malartic. On la retrouve en effet dans une lettre écrite de Montréal au ministre de la Guerre le 12 septembre 1760, soit quelques jours après la capitulation de la colonie, par Benoît-François Bernier, commissaire des guerres (officier chargé de l'administration financière d'une armée) en Nouvelle-France. Je remercie mon grand ami et collègue Joseph Gagné pour m'avoir envoyé la version numérisée de cette lettre. D'après Bernier, ce sont les officiers britanniques eux-mêmes qui mentionnent la volonté d'Amherst de se venger de Klosterzeven sur la garnison de Montréal!

"M. de Vaudreuil envoya par plusieurs reprises a M. Amherst pour le ramener a des sentimens plus favorables envers les troupes, mais sans succés; ses off(ici)ers penés eux mêmes de ce traitement ont dit tous que cetoit en represaillies de la Cruauté de nos sauvages outres en memoire de la capitulation de Closter Seven ou le general etoit".

Lettre de Benoît-François Bernier au ministre de la Guerre, Montréal, 12 septembre 1760
Service historique de la Défense, GR A1, volume 3574, pièce 102, folio 5.


Michel Thévenin

Sources:
- Lettre du maréchal de Belle-Isle à M. le marquis de Montcalm, 19 février 1759, dans Henri-Raymond Casgrain, Lettres de la Cour de Versailles au baron de Dieskau, au marquis de Montcalm et au chevalier de Lévis, Québec, L-J Demers & Frère, 1890, p. 180-183.

- Journal des campagnes au Canada de 1755 à 1760 par le Comte de Maurès de Malartic, lieutenant général des armées du roi, gouverneur des îles de France et de Bourbon (1730-1800), publié par son arrière petit-neveu le Comte Gabriel de Maurès de Malartic et par Paul Gaffarel, professeur à la Faculté des Lettres de Dijon, Dijon, L. Damidot, 1890, p. 349.

-Lettre de Benoît-François Bernier au ministre de la Guerre, Montréal, 12 septembre 1760
Service historique de la Défense, GR A1, volume 3574, pièce 102.



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mardi 17 décembre 2019

La violence du siège de Berg-op-Zoom (1747) dans les arts

Bonjour!

J'aimerais aujourd'hui vous parler d'un siège marquant du 18e siècle, qui par son dénouement violent a frappé les esprits: le siège de la ville hollandaise de Berg-op-Zoom (Bergen-op-Zoom en néerlandais) par les Français en 1747.

Siège de Berg-op-Zoom, Louis-Nicolas Van Blarenberghe, 1786, Collections du Château de Versailles






À l'été 1747, les armées de Louis XV poursuivent leurs campagnes victorieuses dans les Flandres. Deux ans après la glorieuse victoire de Fontenoy, le maréchal Maurice de Saxe remporte un nouveau combat le 2 juillet à Lauffelt (parfois orthographié Lawfeld, Laffelt), à proximité de la ville hollandaise de Maastricht. La victoire française n'est cependant pas suffisamment importante pour permettre à Maurice de Saxe d'assiéger Maastricht, son objectif initial. Pour ne pas terminer sa campagne trop prématurément, le maréchal envoie le comte de Lowendal (officier danois au service de Louis XV et proche ami de Maurice de Saxe) assiéger la ville de Berg-op-Zoom. L'opération n'a aucun véritable intérêt stratégique, et relève plus du symbole; Berg-op-Zoom a en effet la réputation d'être une forteresse imprenable, puisqu'elle a déjà résisté victorieusement à plusieurs sièges aux 16e et 17e siècles, fait suffisamment rare au 18e siècle pour être noté. De plus, elle a été puissamment fortifiée à la fin du 17e siècle par Menno Van Coehoorn, le rival hollandais de Vauban.

Toujours est-il que Lowendal met le siège devant Berg-op-Zoom, défendue par 16 000 hommes, le 12 juillet, et la tranchée est ouverte dans la nuit du 14 au 15 juillet. Le siège respecte dans son déroulement le modèle théorisé plusieurs décennies plus tôt par Vauban (voir ici), mais les Français se heurtent à une résistance coriace de la garnison hollandaise. Deux mois après l'ouverture de la tranchée, les assiégeants ne sont toujours pas en mesure de faire plier les défenseurs, malgré la présence de plusieurs brèches dans les ouvrages avancés de la place (deux mois, c'est particulièrement long pour l'époque, voir ici mon article sur la durée "normale" d'un siège).

Beschieting van Bergen op Zoom / Attaques de Berg-op-Zoom, anonyme, 1747, Rijksmuseum (Amsterdam)



Le 16 septembre au matin, Lowendal joue son va-tout et lance un assaut massif d'infanterie sur les brèches des fortifications. L'élan des assiégeants est décisif, et les troupes françaises entrent dans la ville, où la garnison, bousculée, se défend pied à pied en se barricadant dans les maisons. C'est là que les Français, enragés par deux mois d'un siège long et coûteux, déchaînent leur fureur. Une partie de la garnison est massacrée, et la ville est mise à sac.

Le déchaînement des Français à cette occasion, et le pillage de la ville, choquent profondément l'Europe. De telles pratiques étaient devenues suffisamment rares pour être scandaleuses, surtout au sein de l'armée de Sa Majesté Très Chrétienne... Bien que plusieurs officiers français aient tenté de maîtriser l'indiscipline de leurs troupes, beaucoup d'autres ont allègrement participé au pillage, s'assurant de juteuses rapines...

La légende veut que devant le scandale, Maurice de Saxe aurait alors affirmé à Louis XV: "Sire, il n'y a pas de milieu: il faut faire pendre Lowendal, ou le faire maréchal de France". Quoique sans doute très romancé, l'épisode se termine tout de même par la promotion de Lowendal, qui obtient le bâton de maréchal le 23 septembre.

Les journaux de plusieurs acteurs du siège présentent des chiffres particulièrement impressionnants, faisant état notamment de 10 000 tués et blessés parmi les assiégeants lors des deux longs mois du siège (certains auteurs poussent même les pertes françaises jusqu'à 20 000 hommes). L'assaut décisif du 16 septembre fut extrêmement sanglant: près de 150 officiers et soldats tués et 300 blessés côté français, contre plus de 2 000 tués, 1 000 blessés et 1 700 prisonniers côté hollandais.

En plus de sa durée et de sa violence, le siège de Berg-op-Zoom a aussi la particularité d'avoir accordé un rôle important aux mines et aux contre-mines, qui étaient tombées en désuétude au 18e siècle (voir ici l'article que j'ai consacré au sujet des mines). Un journal du siège mentionne ainsi qu' "on a supputé les mines qu'ont fait joüer les deux partis, à la totalité de 80". Ce même journal mentionne, parmi les victimes du siège côté français, la mort, le 16 août, du commandant du corps des mineurs, le sieur de Lorme. Celui-ci était âgé de 72 ans, et avait surtout participé au cours de sa carrière à pas moins de 37 sièges! Il avait ainsi acquis le surnom cocasse de "Premier mineur de l'Europe"...

À en croire ce journal, et un plan français de l'assaut du 16 septembre, qui montrent l'usage intensif de mines des deux côtés et les multiples explosions engendrées par celles-ci, le délabrement des fortifications et du terrain devait produire un effet saisissant...

Plan de l'attaque de Berg-op-Zoom par M. de Lowendal en 1747, par H. M. Chevalier, 1747
(disponible sur Gallica)



Pour terminer cet article, je souhaite vous présenter quelques sources iconographiques du 18e siècle, représentant toute la violence et la fureur du siège et/ou de l'assaut français.

Vue de la ville et des forts de Berg-op-Zoom assiegée par l'armée françoise
sous les ordres de Mgr. le Mal. de Lowendahl le 14 juillet 1747.et prise par assaut le 16 septembre
,
Martin Marvie, 1747-1750, Rijksmuseum

Het beleg van Bergen op Zoom door de Franschen,
gravure hollandaise de Gerard Sibelius, 1750-1752, Rijksmuseum

Une autre gravure hollandaise que je trouve particulièrement saisissante par sa représentation de la violence du siège (ici le bombardement):

Afbeelding van de bombaardeering der stad Bergen op den Zoom, door de Franschen,
op den 1e. Augustus des jaar 1747
,
Simon Fokke, 1772, Rijksmuseum

Le bombardement détruit une partie importante de la ville. À plusieurs égards, le siège de Berg-op-Zoom est comparable avec la situation de Québec à l'été 1759. En effet, les deux villes sont bombardées pendant deux mois, et les deux villes connaissent des destructions extrêmes. Ci-dessous, une gravure hollandaise montrant l'état d'une église de Berg-op-Zoom après le siège, qui n'a rien à envier aux gravures présentant Québec en 1759:

Ruïne van de Groote Kerk te Bergen op den Zoom, van binnen, ziende van het choor naar den tooren,
gravure de Simon Fokke, 1772-1780, Rijksmuseum

Et pour terminer, un tableau légèrement postérieur à l'événement (1786), mais que je trouve très représentatif de la fureur de l'assaut français du 16 septembre. Comme pour le bas-relief représentant le siège de Minorque de 1756 (voir mon article ici), les détails sont impressionnants.

Prise d'assaut de Berg-op-Zoom, Louis-Nicolas Van Blarenberghe,
1786, Collections du Château de Versailles

Pour l'anecdote, on peut noter que le siège de Berg-op-Zoom apparaît dans la série de jeux vidéos Assassin's Creed. Dans le troisième opus (celui se déroulant lors de la guerre d'Indépendance américaine, et lors de la guerre de Sept Ans pour ses débuts), deux personnages, Haytham Kenway et Edward Braddock (le général britannique vaincu à la Monogahéla en 1755) partagent leurs souvenirs concernant leur participation à ce terrible siège...

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin


Petite mise à jour du 3 décembre 2021:
J'ai écrit le script d'une vidéo sur le siège de Berg-op-Zoom pour la chaîne Youtube Nota Bonus (chaîne secondaire du vulgarisateur historique Nota Bene). La vidéo d'environ 7 minutes est disponible ici!

Sources:

- Histoire abrégée de la ville de Bergen-op-Zoom, depuis son origine jusqu'à ce jour: avec une idée du fameux siège de 1747 et de ses suites funestes, ainsi que du rétablissement de la ville, ouvrage posthume de M. Jean Faure, À La Haye chez Pierre Van Os, 1761.
- Jean-Baptiste d'Espagnac, Journal des campagnes du Roi en 1744, 1745, 1746 & 1747, Liège, 1748.
- Journal du siège de Bergopzoom en 1747, rédigé par un lieutenant-colonel ingénieur volontaire de l'armée des assiégeans, À Amsterdam et à Leipzig, chez Arkstée et Merkus, 1750.
-Fadi El Hage, La guerre de Succession d'Autriche (1741-1748). Louis XV et le déclin de la France, Paris, Économica, 2017.
- Jean-Pierre Bois, Maurice de Saxe, Paris, Fayard, 1992.
- Jean-Pierre Bois, « Maurice de Saxe et Ulrich Woldemar de Lowendal, deux maréchaux d’origine étrangère au service de Louis XV », Revue historique des armées, 2009, p. 3-14.


Si vous appréciez mes recherches et le contenu de ce blogue, acheter mon premier livre (qui est maintenant disponible en France!) serait une très belle marque d'encouragement (voir à droite, "Envie d'en savoir plus?"). Si vous ne voulez pas vous procurer le livre, mais que vous souhaitez tout de même m'encourager à poursuivre sur cette voie, vous pouvez faire un don via Paypal (voir à droite l'onglet "Soutenir un jeune historien"). Vous pouvez également partager cet article (ou tout autre de ce blogue), vous abonner au blogue ou à la page Facebook qui y est liée. Toutes ces options sont autant de petits gestes qui me montrent que mes recherches et le partage de celles-ci auprès d'un public large et varié sont appréciés, et qui m'encouragent à poursuivre dans l'étude d'aspects souvent méconnus de l'histoire militaire du XVIIIe siècle.


vendredi 13 décembre 2019

L'usage des mines dans la guerre de siège

Bonjour!

J'aimerais aujourd'hui vous parler d'une partie spécifique de la guerre de siège que je n'ai pas encore évoquée, à savoir l'utilisation des mines.

Je vous ai déjà exposé le modèle, extrêmement scientifique et raisonné, théorisé par Vauban à la fin du 17e siècle. Le moment décisif de ce modèle du siège est l'ouverture d'une brèche dans les fortifications assiégées. Or, cette brèche peut être provoquée par deux moyens: l'artillerie et les mines. J'aimerais ici vous parler de l'usage des mines.

Dans son Traité de l'Attaque des Places de 1704, Vauban définissait ainsi les mines:




La mine est ainsi une alternative au canon pour ouvrir la brèche dans les fortifications, considérant que Vauban considère qu'il ne faut pas moins de 1 000 coups de canon pour faire brèche dans une fortification de bonne qualité...

On notera avec amusement que le terme employé dans les traités théoriques pour désigner l'action de faire exploser les mines est "faire jouer les mines"...

Ci-dessous, quelques versions des planches du traité de Vauban montrant l'action des mines (le traité a été copié à quelques reprises, et publié sous des versions plus ou moins exactes de manière clandestine).








Quelques décennies plus tard, Guillaume Le Blond, dans son Traité de l'Attaque des Places de 1743, mentionne "On se sert aussi des Mines pour augmenter la Brèche, même quelquefois pour la faire". La mine semble d'après Le Blond avoir quelque peu perdu en importance. Il est vrai que dans la première moitié du 18e siècle, les très nets progrès en matière d'artillerie ont fait reculer l'usage des mines, le canon étant capable de faire brèche plus rapidement et plus efficacement.

Les mines ne disparaissent pas pour autant, et connaissent même un certain retour en grâce lors de la guerre de Succession d'Autriche, grâce notamment au perfectionnement du savoir-faire des ingénieurs militaires. Les mines ne sont par contre plus utilisées principalement pour faire la brèche, mais plus comme un moyen supplémentaire d'affaiblir des fortifications et leur garnison, et pour appuyer les efforts principaux pour faire la brèche.

Un attirail assez varié est utilisé pour ces mines, constamment perfectionné tout au long du 18e siècle. Vauban présentait dans son traité de 1704 les outils nécessaires au mineur, qui devient un ouvrier spécialisé:











Mais les mines ne sont pas réservées aux seuls assiégeants; en effet, les assiégés peuvent compter pour défendre une place sur des fougasses, qui sont définies par Bélidor dans le Dictionnaire portatif de l'ingénieur de 1755 (une compilation de plusieurs dictionnaires et traités militaires) comme étant "une ou plusieurs petites mines que l'on charge de poudre, pour faire sauter un terrein dont l'assiégeant s'est emparé".

L'assiégé peut également avoir recours aux contre-mines, galeries souterraines destinées à localiser les mines ennemies et à les désamorcer, ou même à gêner la progression des mineurs de l'assiégeant.

Se développe alors une véritable « guerre souterraine » entre mines et contre-mines, assiégeants et assiégés. Les sources soulèvent les résultats particulièrement atroces de ce type d’affrontements, du fait des conditions difficiles qui les entourent : le manque d’espace dû à l’étroitesse des galeries, la faible lumière des chandelles et l’air vicié, tout est réuni pour des empoignades effroyables à l’arme blanche. Le siège de Vienne par les Ottomans en 1683 demeure un des exemples les plus marquants de cette guerre de siège « souterraine ».

Une représentation de ce que pouvait être la difficulté de ce type de situation est donnée dans le film espagnol Alatriste, réalisé par Agustin Diaz Yanes et sorti en 2006. Dans ce film est représenté le siège par les Espagnols de la ville hollandaise de Breda en 1625 (avec il est vrai des tranchées de siège plutôt similaires à celles en vigueur à partir de Vauban). Je vous partage ici une vidéo représentant une scène de guerre de mines et contre-mines (à partir de 4mn12 de la vidéo):




Plusieurs officiers français combattant en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans font référence aux mines.

À la fin de l'année 1758, Louis-Antoine de Bougainville est envoyé en France pour quémander des secours auprès des autorités versaillaises. En plus de mettre de l'avant le manque criant d'ingénieurs militaires dans la colonie (voir mon article à ce propos ici), Bougainville constate le besoin d'envoyer des spécialistes du maniement des mines, mentionnant qu'il n'y a dans la colonie "pas un seul homme qui ait la plus légère idée des mines". Il préconise ainsi l'envoi en Nouvelle-France d'un corps de vingt mineurs, qui pourraient former des ouvriers sur place.

Dans son Mémoire pour la défense du fort Carillon de 1759, véritable manuel de poliorcétique défensive auquel j'ai déjà consacré un article (voir ici), l'ingénieur français Jean-Nicolas Desandrouins suggère l'utilisation de fougasses pour défendre les abords du fort. Il émet cependant le constat, lucide, d'une impossibilité d'envisager d'utiliser les contre-mines, ne pouvant compter sur "l'avantage des assiégés dans la guerre sous terre, supposant nos mineurs trop ignorants pour s'en prévaloir", et rejoignant ainsi Bougainville quant au besoin d'envoyer en Nouvelle-France des spécialistes des mines.

Il insiste plus loin en ajoutant:
"Les caissons, fougasses et mines (sous-entendu contre-mines) sont la meilleure défense des places; mais il ne faut pas se flatter de trouver des mineurs en Canada".
C'est sur ce constat réaliste de l'ingénieur français que je vous laisse pour aujourd'hui.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!

Michel Thévenin


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Sources:

Dictionnaire portatif de l’ingénieur, où l’on explique les principaux termes des Sciences les plus nécessaires à un Ingénieur, sçavoir : l’Arithmétique, l’Algèbre, la Géométrie, l’Architecture civile, la Charpenterie, la Serrurerie, l’Architecture hydraulique, l’Architecture militaire, la Fortification, l’Attaque et la Défense des Places, les Mines, l’Artillerie, la Marine, la Pyrotechnie. Par M. Bélidor, Colonel d’infanterie, Chevalier de l’Ordre militaire de Saint Louis, Etc, à Paris, chez Charles-Antoine Jombert, 1755.

- Mémoire, pour servir d'instruction dans la conduite des sièges et dans la défense des places, dressé par Monsieur le Maréchal de Vauban, et présenté au roi Louis XIV en 1704, à Leide, chez Jean & Herman Verbeek, 1740.

- Traité de l'attaque des places, par M. Le Blond, professeur de mathématique des pages de la grande écurie du Roy, à Paris, chez Charles-Antoine Jombert, libraire du Roy pour l'artillerie & le génie, 1743.

Mémoire sur la défense du fort de Carillon, dans Henri-Raymond Casgrain, Lettres et pièces militaires. Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense 1756-1760, Québec, Imprimerie L.-J Demers & Frère, 1891, p. 107-143.

- Louis-Antoine de Bougainville, Mémoire à la Cour, 12 janvier 1759, dans Henri-Raymond Casgrain, Lettres et pièces militaires. Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense 1756-1760, p. 79-90.











lundi 9 décembre 2019

Bougainville vs Rigaud, ou les sottises d'un officier canadien

Bonsoir!

Une certaine historiographie a pendant longtemps opposé de manière quasi manichéenne les Français des Canadiens, les uns privilégiant la guerre en bataille rangée, à l'européenne, les autres étant les tenants d'une "petite guerre" proprement nord-américaine, et menée par d'invincibles miliciens canadiens...
À la suite des travaux de Louise Dechêne (Le Peuple, l'État et la guerre au Canada sous le Régime Français, 2008), une nouvelle génération d'historiens dont je fais partie remet fortement en cause cette opposition, tentant plutôt d'expliquer les similitudes et les liens qui existent entre les métropolitains et les coloniaux. Cela ne veut pas dire pour autant que Français et Canadiens sont pareils, loin de là!

Je vous partage ici quelques exemples de ces différences entre les officiers français et canadiens concernant la culture militaire des combattants, ce qu'on qualifie trop souvent de "guerre en dentelles". J'ai déjà exposé dans un autre article la fausseté de cette expression, mais pour résumer brièvement, il s'agit des codes de respect et de courtoisie qui caractérisaient les relations entre les officiers européens au 18e siècle, qui pour la plupart étaient nobles et avaient ainsi reçu une éducation nobiliaire relativement similaire.

Il semble tout de même, à en croire certains officiers français, que la noblesse canadienne serait moins prompte à respecter ce type de comportements nobiliaires, Montcalm sentant par exemple dès son arrivée en Nouvelle-France la nécessité de préciser dans ses instructions à un officier canadien de mener une guerre "suivant les lois et les usages des nations policées" (voir ici l'article que j'y ai consacré).

Un autre officier français, Louis-Antoine de Bougainville, jeune scientifique découvrant la carrière militaire aux côtés de Montcalm, se montre très bavard dans ses écrits, notamment lorsqu'il s'agit de critiquer les Canadiens. Il s'attaque ainsi à deux reprises au propre frère du marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, Monsieur de Rigaud.

Portrait de Louis-Antoine de Bougainville par Jean-Pierre Franque, 1839,
Collections du Château de Versailles

À l'été 1758, Français et Britanniques s'affrontent lors de la célèbre bataille de Carillon (8 juillet), laquelle se solde par une éclatante victoire des troupes de Montcalm. Quelques jours plus tard, le 23 juillet, un officier britannique se rend au camp français, pour traiter d'affaires concernant des échanges de prisonniers. Au cours de la conversation, il mentionne un autre officier britannique tué lors de la bataille du 8, qui gardait sur lui un portrait de son épouse. Il demande donc à récupérer ledit portrait, afin de pouvoir le faire parvenir à la famille du défunt. Par chance, un officier français, qui avait récupéré l'objet, assiste à la scène et, en bon gentilhomme respectueux des usages courtois, redonne immédiatement le portrait au Britannique.

C'est ici qu'intervient Monsieur de Rigaud qui, selon Bougainville, aurait bassement proposé au Français de revendre le portrait, au lieu de le rendre gratuitement. Le commentaire de Bougainville en cette occasion illustre le décalage qui pouvait exister quand au respect de cette courtoisie militaire entre les officiers métropolitains et coloniaux, quand bien même ceux-ci font partie de la haute noblesse de la colonie (il s'agit tout de même du frère du gouverneur-général de la Nouvelle-France!): 
"On ne sera pas embarrassé en France de la réponse que lui aura faite un homme de condition, officier et Français".
L'année précédente, Rigaud s'était déjà "illustré" à l'occasion du raid mené par ce dernier contre le fort William Henry. J'ai évoqué cet événement dans mon article traitant de l'attaque "par escalade", je vais le réutiliser, de manière plus détaillée, ici.

Au mois de mars 1757, le marquis de Vaudreuil lance une expédition contre le fort William Henry, au sud du lac Saint-Sacrement (actuel lac George dans le nord de l'État de New York), qui sera victorieusement assiégé par Montcalm quelques mois plus tard.

Son frère, Rigaud, conduit un détachement de 1 500 hommes, tant Français que Canadiens, avec pour mission de s'emparer du fort, sans grandes précisions dans ses instructions. Les préparatifs de l'expédition semblent toutefois présager d'une attaque "par escalade", attaque nécessitant des échelles et grappins pour "escalader" les murs du fort, et surtout, reposant principalement sur l'effet de surprise.


Reconstitution d'une attaque "par escalade".
Je remercie la compagnie de reconstitution historique
Régiments du Passé
pour m'avoir autorisé à utiliser leurs photos.

En arrivant devant le fort, le 18 mars, Rigaud, après avoir consulté ses officiers, décide d'envoyer l'un d'entre eux, le chevalier Le Mercier (Français établi au Canada depuis 1740), auprès du commandant britannique du fort, pour le sommer de se rendre sans combat:
"Il lui dit qu’il étoit envoyé par M. de Vaudreuil, son général, pour lui annoncer qu’il étoit à la tête d’un corps de troupes considérables, dans le dessein de prendre par escalade son fort situé sur le terrain du Roi son maître, et qu’il étoit usage, en pareille occurrence et entre peuples policés, de se sommer pour éviter un carnage qu’on ne pourroit empêcher, par rapport à la grande quantité de sauvages".
Devant le refus du commandant britannique de céder son fort, la troupe de Rigaud ne peut que se replier sur Montréal deux jours plus tard, après avoir brûlé quelques installations britanniques en dehors du fort.

Le piteux échec de Rigaud est très mal perçu par plusieurs officiers français. Bougainville critique notamment très sèchement le comportement du frère du gouverneur (et de ses officiers), qui en envoyant Le Mercier en sommation a complètement annihilé l'effet de surprise qu'il avait, et a donc ruiné les chances de réussite de sa tentative d'escalade:
"Le sommant et le sommé ignoraient qu'une escalade est une action de surprise [...] C'est que pour ne pas être ridicule à la guerre, il ne suffit pas d'être homme d'esprit".
La réaction de Bougainville en apprenant les circonstances de l'échec du raid...
On peut parfois reprocher à Bougainville sa véhémence envers les Canadiens, il n'empêche que la critique est ici on ne peut plus fondée... Rigaud, par méconnaissance du métier des armes, a en effet mal jugé l'utilisation d'une sommation permettant d'éviter un combat, à un moment où l'avantage de la surprise était clairement entre ses mains...

Voilà qui conclut cet article pour aujourd'hui.
N'hésitez pas à le commenter, à le partager, à me poser vos questions.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources:
- Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada. Mémoires, journal, lettres, Québec, Septentrion, 2003.
Autre relation de l’expédition sur le fort Georges février et mars 1757, dans Henri-Raymond Casgrain, Relations et journaux de différentes expéditions faites durant les années 1755-56-57-58-59-60, Québec, Imprimerie de L.-J.Demers & Frère, 1895, p. 77-86.

jeudi 5 décembre 2019

Une autre conférence à Sillery

Bonjour!

Une nouvelle petite annonce pour aujourd'hui.

Je vais donner une autre conférence pour la Société d'Histoire de Sillery, ce dimanche 8 décembre, à 14h.

Voici le titre et la thématique de cette présentation:


Comme pour ma conférence du dimanche 17 novembre, l'événement aura lieu au centre communautaire Noël-Brûlart. L'entrée est gratuite pour les membres de la Société et coûte 5$ pour les non-membres (5$ pour venir m'entendre discuter pendant plus d'une heure de guerre en dentelles, quelle aubaine!)

Voici l'événement Facebook créé par la Société d'Histoire de Sillery, qui vous indique tous les détails:


Au plaisir de vous y voir en très grand nombre!

Michel Thévenin