"Sous l'éclat des lustres, la reine de Hongrie vient d'ouvrir la danse avec l'électeur de Bavière, qui donne la fête; mais, déjà fourbu, il s'éponge, tandis que la reine s'avance vers un cavalier plus résistant, le roi de Prusse. Fleury fait les honneurs, Belle-Isle exhorte chacun à danser, mais beaucoup se récusent. Stanislas ne sait que des polonaises, le roi d'Angleterre attend une gigue, la reine d'Espagne voyant ses fils décidés à ne danser qu'un quadrille, esquisse un cavalier seul, ou "folie d'Espagne"; le roi de Sardaigne brûle de l'accompagner. Dans le fond, un tripot tenu par les Vénitiens. Ailleurs, le pape s'épuise en un discours que personne n'entend, cependant que les électeurs ecclésiastiques dirigent un orchestre cacophonique formé par les petits États. On y voit même Élisabeth de Russie, le roi de Corse, sorte d'Arlequin masqué, l'empereur turc. Ainsi apparaît aux contemporains la guerre de Succession d'Autriche."
mercredi 30 janvier 2019
Une gravure de 1742 expliquant la guerre de Succession d'Autriche
Un regard très lucide de Bougainville sur la guerre de Sept Ans
mardi 22 janvier 2019
Éviter les mauvaises surprises: les armées dites "d'observation"
"Il faut convenir que le moyen le plus assuré pour achever un Siège tranquillement, c'est d'avoir une bonne Armée d'observation postée assez avantageusement, pour que l'Ennemi ne puisse la forcer de combattre sans s'exposer à un péril évident, & de manière qu'elle couvre le Siège, & que même elle en puisse tirer du secours des Troupes qui y sont employées, si l'Ennemi prenoit le parti de vouloir la combattre".
"Le 15 du même mois (juillet), Mr Rigaud de Vaudreuil, gouverneur des Trois-Rivières, partit de Montréal pour se rendre à la Baye de Niaoueuré (aujourd'hui Sackets Harbor, NY), prendre le commandement des troupes détachées de la Marine, des Canadiens et des Sauvages, en former un corps d'environ 1700 hommes, destinés à favoriser le débarquement des troupes de terre et de l'artillerie, aider aux préparatifs du siège et poser ensuite un camp d'observation entre la chute de la rivière Choueguen et le fort, aux fins d'empêcher les secours d'entrer dans la place, pendant que les troupes de terre en feraient le siège".
"M. le chevalier de Lévis étant posté avec son détachement sur le chemin du fort Lydius (fort Edward, situé 25 km de William-Henry et dont la garnison pouvait venir secourir le fort assiégé), il en plaça une partir pour s'opposer au secours qui pouvait venir par ce chemin, et l'autre partie fut placée pour masquer et observer les mouvements que les ennemis faisaient au fort et au retranchement".
mercredi 16 janvier 2019
Une variante des sièges "à la Vauban": l'attaque "par escalade"
Aujourd'hui, je vous présente une "variante" de ce modèle de siège, à savoir ce que l'on appelle l'attaque "par escalade".
Au début du 18e siècle, la définition de ce type d'assaut est encore relativement floue. Dans son Mémoire pour servir d'instruction dans la conduite des sièges et la défense des places de 1704, Vauban intègre l'escalade à ce qu'il appelle la "surprise des places", sorte de catégorie fourre-tout qui regroupe plusieurs types d'assauts, par opposition au siège réglé et codifié qu'il a théorisé:
"On appelle surprendre une Place, quand pour s'en rendre maître, on se sert du Petard, de l'Escalade, des embûches, de l'introduction par quelque trou du Rempart, d’égout, ou de Rivière, ou par le moïen des Fossés glacés, ou par une intelligence secrette avec quelques Officiers de la Garnison, Soldats, ou Bourgeois, ou enfin par quelque stratagême que ce soit, qui n'oblige pas aux longueurs & aux formalités des autres Sièges."
"Escalader une ville, c'est essayer de s'en rendre le maître par une prompte attaque, en escaladant les murailles ou les fortifications de la Ville; c'est-à-dire en y montant avec des échelles, & s'en emparer ainsi, sans être obligé de détruire les fortifications".
En plus de définir pleinement l'escalade, Le Blond souligne également un point intéressant, celui de l'usage de cette pratique:
"Les surprises des Villes & les escalades étoient autrefois assez communes; mais la disposition de nos fortifications, le bon ordre que l'on tient à present pour la garde des Places, ne permet gueres la réussite de ces sortes d'entreprises. Cependant il y a des cas ou elles se peuvent tenter, & où elles peuvent réussir. Nous en avons un exemple recent dans l'escalade de Prague."
Ce conflit voit en effet plusieurs épisodes d'escalade de ville, l'un des plus marquants (car audacieux et complètement inattendu, du fait de l'abandon de cette pratique) étant celui ayant permis la prise de Prague dans la nuit du 25 au 26 novembre 1741. Le succès d'un assaut qui ne devait être qu'une attaque de diversion, mais qui par sa vigueur a entraîné la reddition de la garnison, a fait la gloire de François de Chevert, alors simple lieutenant-colonel d'un régiment d'infanterie et futur général, et surtout futur héros des manuels scolaires de la République française à la fin du 19e siècle...
image figurant dans un manuel scolaire français de la fin du 19e siècle,
Musée National de l'Éducation, Rouen
vers 1760, Collections du Château de Versailles
Collections du Château de Versailles
"Quoique les vues de Mr de Vaudreuil et que les ordres qu'il avait donnés en conséquence à Mr son frère ne fussent pas de tenter l'escalade du fort, il l'avait cependant laissé le maître de cette entreprise et paraissait s'en rapporter à sa prudence et à celle des premiers officiers qui servaient sous lui. Comme il ne paraissait pas vraisemblable que nous fussions découverts, on se prépara comme su le fort eût dû être attaqué; on enmancha les échelles qu'on avait portées par précaution et on disposa l'ordre d'attaque pour la nuit."
Voilà pour aujourd'hui, n'hésitez pas à me poser vos questions, et à bientôt pour un nouveau billet historique!
jeudi 10 janvier 2019
Combien de temps dure un siège aux 17e et 18e siècles?
Après vous avoir dans ce sens présenté mes réflexions quant aux nombreuses définitions du siège au 18e siècle, je vous expose maintenant une autre observation plus "générale" de la guerre de siège. Une question m'est effectivement apparue lors de mes recherches de maîtrise: combien de temps dure un siège? Cette question m'a mené à m'intéresser à la durée d'un siège, en Europe comme en Amérique, mais également à apporter un complément aux définitions du siège que j'avais rencontrées dans les dictionnaires du 18e siècle.
Je vous ai fait part dans un précédent article de l'influence qu'a eu l'ingénieur français Vauban sur la guerre de siège de la fin du 17e siècle, et du modèle du siège "idéal" qu'il a théorisé pour Louis XIV. Ce modèle de siège scientifique prôné par Vauban offrait à l'assiégeant un avantage décisif face à la complexité toujours plus accrue des systèmes de fortifications, en plus de garantir une certaine économie en vies humaines. En revanche, il nécessitait la mobilisation de moyens extrêmement conséquents sur les plans matériels et humains. Vauban considérait par exemple qu'un ratio de dix assiégeants pour un assiégé était requis, ce qui entraînait la formation (et l'entretien) d'effectifs particulièrement élevés.
De même, l'approche méthodique de la place se faisait au moyen de lents et lourds travaux de sièges. Vauban estimait ainsi que la réalisation de l'ensemble des douze étapes de son siège idéal nécessitait 48 jours. Il faut cependant noter qu'il s'agit là d'un modèle théorique, dont les résultats diffèrent d'une situation à une autre. Dépendamment de la nature du terrain sur lequel les travaux de siège sont effectués, ou de la vigueur de la résistance de la garnison assiégée, la durée des sièges "à la Vauban" peut varier de manière considérable. Dans les dernières décennies du 17e siècle, les nombreux sièges menés par l'armée de Louis XIV (dont plusieurs sont dirigés par Vauban lui-même) durent en moyenne entre quatre et huit semaines. Paradoxalement, le siège d'Ath (Belgique) en 1697, que Vauban considère comme son chef d'oeuvre, celui se rapprochant le plus de son modèle théorique, est l'un des plus courts de la période (13 jours).
La lenteur des opérations de siège requises par le modèle de Vauban a cependant rapidement été critiquée, tant en France que dans le reste de l'Europe. Le modèle proposé par Vauban a en effet "ralenti" la guerre de siège, faisant passer la durée moyenne des sièges de 32 jours au début de la guerre de Hollande (1672) à 43 jours au commencement de la guerre de Succession d'Espagne (1701). Le grand rival de Vauban, l'ingénieur hollandais Menno Van Coehoorn, propose alors une solution destinée à réduire la durée des sièges. Il reconnaît certes les avantages de la pensée méthodique de Vauban et l'utilité incontestable des travaux de sièges, au premier rang desquels l'usage des tranchées parallèles, critiquant seulement la lenteur de leur réalisation. Il privilégie la rapidité dans l'action, et suggère de se porter aussi tôt que possible et en force sur le point le plus fort de la place assiégée, ce qui entraînerait un effet de surprise en plus de faire forte impression sur la garnison. Coehoorn mise sur une nette supériorité du feu de l'assiégeant, et utilise donc un bombardement massif, prélude à un ou plusieurs assauts souvent sanglants.
La méthode de Coehoorn était donc plus soucieuse d'une économie de temps que de vies humaines que celle de Vauban. Mais "l'attaque brusquée" à la Coehoorn n'était pas toujours gage de gain de temps comparée à "l'attaque pied-à-pied" de Vauban, comme le montre le double exemple des deux sièges subis par la ville de Namur pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1689-1697). En 1692, en présence de Louis XIV, Vauban assiège et prend la ville fortifiée et défendue par ... Coehoorn, après un mois de siège (il s'agit là de la seule confrontation directe entre les deux talentueux ingénieurs). Trois ans plus tard, Coehoorn reprend la ville, qui se rend après deux mois de siège et au prix de plus de 12 000 morts dans l'armée assiégeante.
Vauban a beau qualifier de "bestiales" et d'oeuvres de "gens très ignorants des sièges" les attaques menées par Coehoorn, l'idée d'une réduction de la durée des sièges va séduire un nombre grandissant de généraux à partir du début du 18e siècle. La guerre de Succession d'Espagne (1701-1713) voit le début d'une certaine "accélération" de la guerre de siège, plusieurs généraux, notamment français, n'hésitant pas à privilégier l'usage de l'attaque en force à la Coehoorn. C'est le cas par exemple du maréchal de Villars qui, en 1703, s'empare en 12 jours de la ville allemande de Kehl, là où Vauban préconisait un siège de 39 jours.
Malgré la persistance de certains sièges très longs (comme celui de la citadelle de Lille en 1708,où la garnison française du maréchal de Boufflers ne capitule qu'après une résistance de six mois ayant coûté 14 000 hommes aux assiégeants), la première moitié du 18e siècle confirme la volonté des généraux "d'accélérer" la guerre de siège. Ils sont aidés en cela par les progrès de l'artillerie, de plus en plus à même de percer rapidement les fortifications, alors que dans le même temps diminue la pratique de l'assaut, les garnisons se rendant le plus souvent à l'ouverture de la brèche.
La guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) est l'exemple parfait de cette accélération de la guerre de siège. Au cours de mes recherches de maîtrise, je suis tombé sur un document particulièrement intéressant. En 1750, deux officiers réunissent en un seul document les plans et journaux des 24 sièges menés par l'armée française dans les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique) entre 1744 et 1748, auxquels ils joignent un tableau récapitulatif:
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin
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