lundi 8 novembre 2021

Un documentaire américain sur le siège du fort William Henry

Bonsoir!

Je vous présente aujourd'hui un bref compte-rendu d'un documentaire américain sorti cet été, ayant pour sujet le siège par les Français du fort William Henry, à l'été 1757 (voir la présentation sur le site du documentaire ici). Le dvd du documentaire est disponible sur le site au prix de 20 dollars américains. Petite précision/avertissement: ce documentaire est uniquement en anglais, sans sous-titres.

Son réalisateur, Erik Swanson, n'est pas historien et ne prétend nullement l'être. Il n'a pas souhaité ici  analyser les éléments du siège de William Henry, son documentaire est plutôt une présentation du discours des contemporains de l'événement selon une sélection choisie (mais limitée) de sources. Je reviendrai plus loin sur ce point.

La structure du documentaire propose une très (trop) longue introduction générale du contexte de la guerre de Sept Ans, essentiellement en Amérique mais également avec une évocation du contexte européen (bon point), et de la construction du fort William Henry par les Britanniques sur la rive sud du lac George. Ce n'est qu'après vingt minutes (sur un documentaire d'à peine plus d'une heure) qu'on entre dans le vif du sujet, à savoir l'année 1757 et plus précisément la campagne de l'été, qui voit le siège victorieux du fort par les Français menés par le marquis de Montcalm, et le massacre d'une partie de la garnison vaincue par les alliés autochtones des assiégeants. Le propos principal s'étend sur une quarantaine de minutes (une demi-heure pour le siège et une dizaine de minutes pour le massacre), le documentaire se terminant par une très brève conclusion de deux minutes.

Un premier point positif que je souhaite souligner: ce documentaire est visuellement très intéressant. J'ai personnellement beaucoup apprécié les animations 3D proposées ici, leur esthétique se rapprochant parfois de celle de jeux vidéos de la fin des années 1990 et du début des années 2000, ce qui n'est pas pour me déplaire.

Comme une petite ressemblance avec les cartes des campagnes d'Age of Empires II, non?






Petit regret toutefois, le fait que tous les soldats français soient représentés comme appartenant aux troupes de la Marine, alors que celles-ci ne représentaient qu'une partie de l'armée française, qui comptait par exemple 2500 soldats des troupes de Terre. Cette généralisation est sans doute due à une volonté de facilité dans la réalisation des animations, il n'empêche que je trouve que c'est dommage, et que cela aurait été évitable.












La narration du documentaire s'appuie tant sur des sources iconographiques d'époque (une vue de la ville de Montréal par exemple ou une gravure britannique contemporaine présentant la bataille du lac George du 8 septembre 1755) que plus tardives (une gravure d'un journal canadien du dernier tiers du XIXe siècle représentant la reddition des forts d'Oswego en 1756), ainsi que des prises de vues actuelles des lieux concernés. Il y a toutefois hélas une certaine confusion dans l'utilisation de ces images par moments, par exemple, lorsque le propos évoque le siège des forts d'Oswego en présentant à l'écran des images actuelles du fort Carillon...

Autre bon point, l'utilisation correcte du drapeau britannique. Trop souvent, que ce soit dans des fictions historiques ou dans des documentaires, le drapeau britannique utilisé est celui que l'on connaît actuellement, qui n'apparaît qu'au début du XIXe siècle (lorsque l'Irlande est intégrée au Royaume-Uni). Pour le XVIIIe siècle, le drapeau britannique est légèrement différent, puisqu'il ne contient pas la croix rouge en diagonale. C'est donc un point positif à mon sens de voir que le réalisateur de ce documentaire n'a pas fait l'erreur commune d'utiliser un drapeau erroné.

Une grosse erreur qui vient en quelque sorte contrebalancer ceci est celle de la carte qu'on aperçoit dans les premières minutes du documentaire, visant à présenter le contexte géographique des colonies françaises et britanniques. Ici, la Nouvelle-France est amputée des territoires au nord du Saint-Laurent (ce qui fait que sa capitale, Québec, n'est même pas en Nouvelle-France!) et à l'ouest du Mississippi, la Nouvelle-Écosse est occupée à moitié par les Français et à moitié par les Britanniques (alors que dans les années 1750, la frontière entre les possessions des uns et des autres est assez nettement marquée par l'isthme de Chignecto, qui est aujourd'hui la frontière entre les provinces canadiennes de Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick), et l'Île Royale (actuelle Île du Cap-Breton) est tout simplement inoccupée, occultant de ce fait l'existence de la puissante forteresse de Louisbourg...











Dans la même lignée, le propos accompagnant cette carte évoque la population de la Nouvelle-France, en la limitant à une présence éparse parmi les forts isolés, sans dire un mot de l'existence de villes importantes à l'échelle nord-américaine pour l'époque comme Québec, Montréal, Trois-Rivières et Louisbourg...

Ma critique principale porte toutefois sur le traitement des sources. Certes, comme je l'ai déjà écrit plus haut, le réalisateur n'a pas voulu faire un travail d'historien, en laissant la parole aux acteurs et témoins du siège de 1757, qu'ils soient français ou britanniques. Il n'empêche que les sources choisies sont parfois mal exploitées. Côté français, on note la présence des écrits du père Roubaud, jésuite missionnaire auprès des Abénakis, mais surtout des journaux du marquis de Montcalm et de son aide-de-camp Louis-Antoine de Bougainville. Certes, ces deux officiers sont parmi les plus connus de l'armée française assiégeant le fort, mais ils ont surtout une plume très semblable, et pour cause, le journal de Montcalm a été partiellement rédigé par Bougainville, qui s'est inspiré de son propre journal de campagne! Disons que la présence de l'un rendait celle de l'autre dispensable... On pourrait me dire alors que le réalisateur a choisi les sources françaises traduites en anglais, certes, mais alors, pourquoi avoir oublié le très intéressant journal de Malartic, lui aussi publié en anglais (voir ici)?

Du côté britannique, les sources sont plus diverses, mais le réalisateur n'a pas fait la moindre critique de ces sources, et a tout accepté comme parole d'Évangile. Par exemple, il cite à un moment un écrit de l'ingénieur britannique Montrésor, qui évoque un interrogatoire d'un prisonnier français. Il donne alors à cette occasion une estimation très exagérée de la force de l'armée de Montcalm. C'était assez commun d'avoir des informations partiellement ou totalement fausses lors des interrogatoires de prisonniers ou de déserteurs, parfois de manière volontaire (pour désinformer l'ennemi). Je vous invite à lire à ce propos la thèse déposée à l'automne 2020 à l'Université Laval par mon grand ami Joseph Gagné, qui a travaillé sur le renseignement militaire dans l'armée française en Amérique pendant la guerre de Sept Ans, thèse qui est disponible ici.

De même, les sources britanniques présentent le raid hivernal mené par les Français contre le fort William Henry comme un glorieux fait d'armes pour la Grande-Bretagne, soulignant la valeureuse défense de la garnison face à l'attaque franco-canadienne. Toutefois, ce raid est surtout un échec français plus qu'une victoire britannique. Les objectifs de l'attaque (capturer ou détruire le fort William Henry) ne sont que partiellement remplis au vu des sommes engagées, puisque si les attaquants ont pu brûler une grosse quantité de matériel militaire qui aurait pu être utilisé pour une invasion de la Nouvelle-France, le fort n'est nullement inquiété, et surtout, les officiers franco-canadiens se sont humiliés en faisant preuve d'un certain amateurisme (que j'évoque dans un autre article, voir ici). Un exercice, même minimal, de critique et de croisement des sources aurait donc pu éviter un propos très orienté et incomplet à ce sujet.

Mon dernier regret concerne la conclusion, qui est hélas bien trop rapide (surtout en comparaison de la très longue introduction de contexte). Il aurait été judicieux de présenter les suites et conséquences du siège du fort William Henry et du massacre, comme l'impossibilité pour Montcalm d'attaquer le fort voisin d'Edward et donc d'envahir la colonie de New York, en raison de pénuries d'approvisionnement, ou encore les dissensions entre les Français et les Autochtones faisant suite au massacre (ce qui aura des conséquences sur la suite de la guerre), ou bien le fait que les Britanniques vont constamment utiliser le prétexte de ce massacre pour se permettre une escalade de la violence jusqu'à la capitulation de la Nouvelle-France en septembre 1760 (j'ai évoqué le sujet dans une conférence d'une vingtaine de minutes en 2018, dont la vidéo est disponible ici).


Au final, c'est un documentaire somme toute assez correct, mais qui a ses limites quant au traitement des sources. Il s'agit d'un assez bon premier coup d'oeil pour apprendre à connaître l'événement, malgré plusieurs petites erreurs et approximations, mais ce documentaire n'a rien de révolutionnaire pour la compréhension de ce siège. 

Comme annoncé au début de cet article, le documentaire est disponible (en anglais uniquement) au prix de 20 dollars américains (voir ici).

Je vous laisse sur quelques vues supplémentaires des animations du documentaire, que je trouve personnellement assez agréables.


































À bientôt pour de nouveaux billets historiques!

Michel Thévenin


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