lundi 14 juin 2021

"réduit à être l'ingénieur ordinaire de Québec", ou le désarroi de Pontleroy

Bonjour!

Cet article est une suite directe à mon dernier article de la semaine passée, au sujet du débat ayant eu lieu en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans quant à la pertinence d'une réunion des ingénieurs militaires et des artilleurs au sein d'un même corps, comme c'était le cas en France (voir mon article ici).

Le marquis de Vaudreuil, gouverneur-général de la Nouvelle-France, se plaignait en effet dans une lettre du 28 octobre 1757 au ministre de la Marine que le marquis de Montcalm, commandant des troupes de Terre servant dans la colonie, envisageait de réunir les artilleurs et les ingénieurs militaires en poste au Canada dans un seul et même corps, qui serait placé sous l'autorité de Nicolas Sarrebource de Pontleroy. Celui-ci, ingénieur d'expérience, venait d'arriver à Québec pour occuper le poste d'ingénieur en chef de la Nouvelle-France, après avoir servi pendant deux ans à Louisbourg, sur l'Île Royale.

Il m'est impossible pour le moment d'établir avec certitude si cette idée d'une réunion des ingénieurs et des artilleurs émane directement de Montcalm ou non, mais Pontleroy lui-même l'évoquait déjà dans une lettre adressée au ministre de la Marine le 26 octobre 1757, soit deux jours avant que Vaudreuil ne s'en plaigne:

"L'on m'a fait pressentir, Monseigneur, que je ne suis destiné icy que pour le service des places et non pour servir à la guerre, j'en ay fait mes representations à M. le mqs de Vaudreüil qui ne m'a donné aucunne réponse positive; je sçais que M. le mqs de Montcalm me demandera avec instance lorsqu'il s'agira de faire des siéges (d'autant que je suis le seul officier détaché du Corps Royal qui ait fait la guerre en qualité d'Ingénieur) mais il crain qu'on ne lui fasse des difficultes. Il seroit douloureux pour moi que je visse mes camarades s'exposer à chaque instant, tandy que je serois tranquille dans une place, et j'ay l'honneur de vous prier de me donner vos ordres à ce sujet. Je ne vous demande, Monseigneur, de servir à l'armée qu'autant que j'y serai nécessaire soit pour placer des forts ou faire des siéges; le service des places n'en souffrira pas si vous voulés bien donner vos ordres pour que les officiers du Corps royal détachés dans cette colonie servent comme en France pour l'artillerie et le génie, ils sont tous remplis de bonne volonté et de zèle, et ne feront sûrement point de difficulté de servir sous moi me trouvant le plus ancien, ils m'ont même priés d'avoir l'honneur de vous en ecrire, particulierement le Sr. de Montbeillard Cpne dont j'accepterai les services en attendant vôtre décision".
FR ANOM COL C11E 10/fol.210

Notons brièvement que Pontleroy n'est pas "le seul officier détaché du Corps Royal qui ait fait la guerre en qualité d'Ingénieur", puisqu'un autre ingénieur, Jean-Nicolas Desandrouins, a déjà participé à deux sièges en Amérique, ceux de Chouaguen en 1756 (voir mon article ici) et de William Henry en 1757.  La suggestion de Pontleroy d'une réunion des ingénieurs et des artilleurs n'est pas anodine. Au-delà des allures presque pathétiques de son discours (la volonté de partager les peines et les dangers des campagnes auprès de ses collègues), c'est la carrière même de l'ingénieur qui est en jeu ici. En effet, le désespoir de Pontleroy à l'idée d'être cantonné au "service des places" renvoie à la double nature des fonctions de l'ingénieur militaire, et au débat entraîné par celle-ci au sein de l'armée française (et même directement au sein du corps des ingénieurs). J'ai déjà évoqué cette question dans un autre article, disponible ici. Même si la tâche première des ingénieurs était d'attaquer et de défendre les places, Vauban, le plus fameux des ingénieurs de Louis XIV, avait donné à la fin du XVIIe siècle une hiérarchie, au moins morale, des fonctions de l'ingénieur militaire. Aux ingénieurs "de place", capables d'ériger des fortifications après un apprentissage long et difficile, il opposait ainsi les ingénieurs "de tranchée" chargés de mener les sièges et dont l'expérience pouvait s'acquérir plus rapidement, sur le terrain. La primauté de l'art de fortifier les places sur celui de les attaquer se faisait ressentir directement dans l'appellation du corps des ingénieurs, qui appartenaient au Département des Fortifications, sorte de quasi-ministère indépendant créé en 1691.

Toutefois, cette situation évolue progressivement au cours du XVIIIe siècle, surtout après le rattachement du Département des Fortifications au Secrétariat d'État à la Guerre en 1743. Les ingénieurs cherchant de plus en plus à être intégrés à l'armée en se militarisant (en adoptant par exemple un uniforme en 1732, plusieurs fois modifié jusqu'à la fin du siècle), le prestige de la fonction d'ingénieur militaire est de plus en plus lié à sa capacité à servir "à la guerre", c'est-à-dire de participer à des sièges ou à ériger des fortifications de campagne (même si les fortifications des places gardent toute leur importance). Surtout, ce sont ces "services de guerre" qui permettent l'avancement au sein de l'armée française, sans considération pour les services "de place". Pontleroy est donc pleinement conscient qu'une affectation au seul service des places en Nouvelle-France, alors que le conflit en Amérique fait appel de manière inédite à la guerre de siège, compromettrait fortement la suite de sa carrière. Sa crainte est d'autant plus justifiée que si son statut d'ingénieur en chef de la Nouvelle-France renvoie strictement au service "de place", Pontleroy possède également le grade de sous-brigadier d'ingénieurs, qui lui confère le commandement des autres ingénieurs militaires présents au Canada dans le cadre des services "de guerre".

Une autre lettre de Pontleroy, datée du 26 juillet 1758, montre que selon lui, le marquis de Vaudreuil aurait tenté de l'empêcher de participer à la campagne du lac Champlain de 1758:

"Je dois aux pressantes et redoublées solicitations de M. le mqis de Montcalm auprez de M. le mqis de Vaudreüil, et a la bonne opinion qu'il a bien voulu avoir de mes faibles talents, d'avoir fait la campagne et de n'avoir pas eté reduit a être l'ingenieur ordinaire de Quebec employez aux entretiens des cazernes au lieu d'etre en chef dans le Canada; cela m'a permis d'avoir quelque part a la journee du 8 par le tracé des abbatis derriere lequel les troupes ont combattus contre l'armée angloise".

FR ANOM COL C11A 103/fol.399

La situation du Canada au printemps 1758 est pourtant délicate: les succès de 1757 (au premier rang desquels le siège victorieux du fort William Henry) n'ont pas pu être pleinement exploités en raison de la disette qui a frappé le Canada, et les premiers renseignements font état de lourds préparatifs britanniques en vue d'une offensive sur plusieurs fronts. En effet, après avoir échoué à prendre la puissante forteresse de Louisbourg en 1757, les Britanniques préparent à nouveau une expédition pour s'emparer de l'Île Royale. Mais dans le même temps, ils mettent sur pied un plan d'invasion du Canada en remontant le couloir du lac Champlain et de la rivière Richelieu, de manière à frapper au coeur de la colonie. La présence sur le front du lac Champlain d'un ingénieur expérimenté comme Pontleroy (qui est ingénieur depuis 1736 et a participé à de nombreux sièges pendant la guerre de Succession d'Autriche dans la décennie 1740) serait assurément bénéfique pour les défenses françaises.

J'ai deux hypothèses principales (qui ne s'excluent d'ailleurs pas) à propos des réticences initiales de Vaudreuil de laisser Pontleroy accompagner Montcalm sur le lac Champlain.

Cela fait partie de l'aveuglement dont fait preuve le gouverneur de la Nouvelle-France au sujet des intentions des Britanniques. Vaudreuil était fermement convaincu qu'ils étaient incapables de préparer une offensive multiple, et pensait donc qu'après leur échec devant Louisbourg en 1757, la forteresse de l'Île Royale serait à nouveau leur principal, et même leur seul objectif. Malgré les rapports de plus en plus insistants au sujet des préparatifs britanniques en vue d'une invasion par le lac Champlain, ce n'est qu'au mois de juin que Vaudreuil prend conscience de la menace. Il pourrait donc ne pas lui sembler utile au printemps de se priver à Québec, ville dont les fortifications sont constamment en travaux, de l'ingénieur en chef du Canada pour une campagne dans une région qu'il pense assez calme.

Cet épisode peut aussi être une conséquence de la rivalité que Vaudreuil entretient avec Montcalm. Avant m son arrivée au Canada, Pontleroy avait été impliqué dans cette lutte personnelle. À la mort de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry, ingénieur en chef de la Nouvelle-France, en mars 1756, Vaudreuil avait aussitôt proposé la candidature de l'ingénieur canadien Michel Chartier de Lotbinière, gendre du défunt et parent du gouverneur, pour lui succéder. Montcalm et les officiers des troupes de Terre avaient de leur côté demandé qu'un ingénieur militaire métropolitain soit envoyé au Canada à cet effet. Après un an de débats, la Cour de Versailles avait donné raison à Montcalm, et Pontleroy avait été nommé sur les recommandations de son supérieur à Louisbourg, Louis-Joseph Franquet. Ainsi, Pontleroy était vu par Vaudreuil comme ayant privé Lotbinière d'une charge importante, en plus d'être le candidat des troupes de Terre, et donc de Montcalm. Or, la campagne à venir sur le lac Champlain impliquait le fort Carillon, qui était en quelque sorte devenu le "fief" de Lotbinière... Celui-ci, protestant contre ce qu'il considérait l'usurpation de la charge d'ingénieur en chef qu'il pensait hériter de son beau-père (et plus ou moins appuyé par Vaudreuil), avait refusé l'autorité de Pontleroy. Il n'est donc pas impensable de croire que Vaudreuil a voulu faire d'une pierre deux coups, en privant Montcalm des compétences de Pontleroy, tout en permettant à son protégé Lotbinière de conserver un certain poids à Carillon pour la campagne à venir, malgré la présence à ses côtés d'un autre ingénieur, Desandrouins...


Toujours est-il que Pontleroy a en fin de compte pu participer à la campagne du lac Champlain de l'été 1758, contribuant brillamment à l'éclatante victoire de Carillon du 8 juillet en assurant avec Desandrouins (sans que Lotbinière ne semble être impliqué) le tracé des retranchements sur lesquels s'est brisée l'offensive britannique.

Plan du Fort Carillon et du Camp retranchée pour s'opposer à l'attaque des Anglais avec l'ordre des Colonnes à l'action du 8 juillet 1758, FR ANOM F3/290/101














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Michel Thévenin


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jeudi 10 juin 2021

Montcalm, Vaudreuil et la réunion des ingénieurs militaires et des artilleurs au Canada pendant la guerre de Sept Ans

Bonsoir!

J'avais présenté dans un autre article il y a quelques temps déjà la proximité entre les ingénieurs militaires et les artilleurs au XVIIIe siècle, ces deux groupes appartenant aux armes dites "savantes" (voir l'article en question ici).

Une ordonnance royale de Louis XV, datée du 8 décembre 1755, réunissait même les ingénieurs militaires et les artilleurs français en un seul Corps royal de l'Artillerie et du Génie, afin de faciliter la coopération entre ces deux corps techniques de l'armée française, notamment lors des sièges.


Ordonnance du Roi, pour unir l'Artillerie avec le Génie,
8 décembre 1755


Travaillant dans le cadre de ma thèse de doctorat sur les ingénieurs militaires français en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), je me suis donc posé la question suivante: cette réunion des ingénieurs et artilleurs en un seul corps a-t-elle été appliquée au Canada? Les sources montrent que la question s'est posée au cours du conflit.

Le marquis de Vaudreuil, gouverneur-général de la Nouvelle-France, aborde le sujet dans une lettre qu'il adresse le 28 octobre 1757 au ministre de la Marine et des Colonies. Alors que le Canada vient d'accueillir un nouvel ingénieur en chef en la personne de Nicolas Sarrebource de Pontleroy (qui servait alors à Louisbourg, sur l'Île Royale, depuis l'été 1755), Vaudreuil se plaint que le marquis de Montcalm, commandant des troupes de Terre en Nouvelle-France, souhaite "s'approprier" le nouvel ingénieur, et qu'il envisage même une réunion de l'artillerie et du génie au sein de la colonie:

"M. de Pontleroy ingenieur en chef de Quebec est arrivé depuis quelques jours. M. le marquis de Montcalm ne l'a point abandonné depuis ce tems, ainsy que les officiers du Corps Royal. Il m'est revenu que comme il est de ce corps et quil seroit l'ancien du genie et de l'artillerie, M. le Mqis de Montcalm doit demander quil ait inspection sur ces deux corps, et quils soient reunis dans cette colonie, ainsy quils le sont en France, cet ordre de Sa Majesté ne nous ayant pas ete adressé, il n'est pas douteux que vous avez prévu, Monseigneur, combien cette reunion seroit nuisible à la colonie sur tout dans un tems de guerre, ou chaqun est assés occupé de sa partie, sans vouloir s'en charger d'une qui doit etre étrangere à celuy des deux corps à qui l'anciennenté du service confieroit les deux details. C'est dans cette vüe, Monseigneur, que j'ay l'honneur de vous prevenir du dessein de M. le Mqis de Montcalm, et de vous supplier de vouloir bien vous y opposer".


FR ANOM COL C11A 102/fol.125v-126


Même si le propos de Vaudreuil est bien loin d'être anodin (il craint qu'en réunissant les deux corps sous l'autorité d'un même officier, ici Pontleroy, ces deux parties de la guerre passeraient sous le contrôle direct de Montcalm, avec qui il entretient des relations houleuses), l'argument qu'il avance d'une différence trop prononcée entre le métier d'ingénieur militaire et celui d'artilleur est tout à fait juste. Le chevalier Le Mercier, commandant l'artillerie au Canada, secondait le gouverneur dans une lettre au ministre de la Marine datée du 30 octobre 1757:

"quoy que je me voÿe un des officiers de ce Corps qui ait le plus de connoissance des fortifications je vous avouray sincerement que je ferois un trop mauvais ingenieur pour vouloir me charger de cette partie" (FR ANOM COL E276/fol.130)

Surtout, c'est précisément cet argument, partagé par bon nombre d'ingénieurs militaires et d'artilleurs en France, qui amène Louis XV, par une ordonnance du 5 mai 1758, à séparer à nouveau le Génie et l'Artillerie, consacrant l'échec total de leur union de 1755. Celle-ci avait en effet exacerbé la concurrence entre les deux corps techniques de l'armée, et était perçue comme trop déséquilibrée en faveur des artilleurs (qui bénéficiaient d'un meilleur accès à l'avancement au sein de l'armée par rapport aux ingénieurs, qui avaient dû pour leur part renoncer à leur uniforme distinctif pour adopter celui de l'artillerie).

Le 10 février 1758, soit quelques mois à peine avant la séparation du Génie et de l'Artillerie, le ministre de la Marine (Peyrenc de Moras) répond à Vaudreuil, abondant dans le sens du gouverneur de la Nouvelle-France et condamnant l'idée de Montcalm de réunir les deux corps (il adresse une lettre à ce sujet à Montcalm le même jour):

"Cette reunion n'est point praticable. Les services de l'un et de l'autre sont totalement distincts et séparés, non seulement en Canada, mais même dans toutes les Colonies. Ce seroit bouleverser entierement la constitution du service que d'admettre cette reunion, et l'intention de Sa M.[ajesté] est qu'on n'apporte aucun changement dans les anciens principes, ni dans les usages, a moins que les abus n'en soient demontrés et alors on y pourvoiroit. Lorsque Sa Majesté s'est determinée a faire passer en Canada des Ingenieurs et des officiers d'artillerie qui servoient en France, elle n'a point entendu que l'exercice de leurs fonctions respectives dut occasionner aucune innovation dans le service du pays"

FR ANOM COL B 107/fol.271


Moras termine sa lettre en écrivant que c'est en concertation avec le marquis de Paulmy, ministre de la Guerre, qu'il clarifie la situation sur cette question. Une trace de cette concertation existe sous la forme d'une lettre envoyée le 7 février 1758 par le ministre de la Guerre à son confrère de la Marine. S'il reconnaît l'erreur de jugement de Montcalm, Paulmy prend toutefois sa défense, en exposant que Montcalm pouvait légitimement penser que l'ordonnance réunissant à la fin de l'année 1755 les deux corps en France pouvait également être valide au Canada:

"J'ignore quelles raisons particulieres pourroient avoir déterminé M. de Montcalm à exiger que ces officiers suivent en Canada pour leur service l'arrangement qui a été fait en France pour la réünion de l'artillerie et du génie [...] mais je ne peux me dispenser de convenir que si le Roy aïant jugé à propos de rendre une ordonnance qui réünit en un seul corps les trois corps anciens de l'artillerie, de Roïal artillerie, et du génie, M. de Montcalm ne pouvoit pas se dispenser d'exiger que dans l'étendüe de son commandement le service à faire par les officiers de ces trois corps ne dût être fait conformément à cette même ordonnance".



FR ANOM COL C11A 103/fol.428-428v


Paulmy poursuit en exposant clairement le "partage" de l'autorité sur les ingénieurs et artilleurs entre Vaudreuil et Montcalm:

"Tant que les officiers de l'un et de l'autre corps sont de residence dans une place, ils sont sans contredit aux ordres du Gouverneur Général et même des Gouverneurs particuliers, qui peuvent suivant la connoissance qu'ils ont des talens de chaque officier en particulier l'emploier à la partie du service à laquelle il est le plus propre, mais s'il est question d'envoïer ces officiers à la guerre, ils se trouvent alors aux ordres de M. de Montcalm, et obligés d'exécuter tout ce qu'il peut leur ordonner concernant le service. Vous voïés par ce détail qu'il ne resulte aucune innovation dans le service de l'artillerie et du génie du païs".



FR ANOM COL C11A 103/fol.428v-429


Il est intéressant de voir que cette répartition des responsabilités entre service "de place" et service "de guerre" reprend le clivage entre ingénieurs "de place" et "de tranchée", très présent à la fin du XVIIe siècle, et dont les ingénieurs militaires français avaient cherché (et partiellement réussi) à se détacher au cours de la première moitié du XVIIIe siècle (voir mon article à ce sujet ici).

Je termine cet article en évoquant que dans la lettre adressée à Montcalm le 10 février 1758, dans laquelle il donne raison à Vaudreuil, le ministre de la Marine termine son propos par une allusion des plus intéressantes:

"La reunion en France de l'artillerie et du genie n'a pas encore produis de grands avantages et c'est une question trop problématique et encore trop controversée pour s'occuper déjà de prendre en Canada un arrangemen si contraire a la constitution actuelle du service dans la Colonie".

FR ANOM COL B 107/fol.272v












Si le ministre de la Marine constate d'un oeil extérieur, plus de deux ans après la réunion du Génie et de l'Artillerie en décembre 1755, que la mesure ne donne pas grande satisfaction, il n'est pas étonnant de constater que l'expérience prend fin seulement trois mois plus tard...

Ces documents ne sont pas qu'une preuve de plus des rivalités personnelles entre Montcalm et Vaudreuil, qui trouveraient dans l'organisation des ingénieurs militaires et des artilleurs un autre lieu d'expression. En effet, Montcalm, répondant principalement au ministre de la Guerre, a cru possible d'intégrer au service colonial des ordonnances concernant l'armée régulière au sein du royaume, ce qui, comme on l'a vu, est un argument compréhensible selon le marquis de Paulmy. De son côté, Vaudreuil, gouverneur colonial, reçoit ses instructions du ministre de la Marine, et défend farouchement ses prérogatives militaires contre les empiètements du commandant des troupes de Terre. Cet épisode illustre ainsi à mon sens la difficulté en termes de communication qu'entraîne la présence dans la colonie, inédite depuis l'envoi du régiment de Carignan-Salières dans la décennie 1660, d'un corps de troupes appartenant à l'armée régulière, et la nécessaire (quoique parfois difficile) coopération entre les secrétariats d'État à la Guerre et à la Marine.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!

Michel Thévenin


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