lundi 19 août 2019

La guerre de Sept Ans, une guerre aux noms multiples

Bonsoir!

Ce dimanche 18 août, j'ai participé dans le cadre des Rendez-Vous d'Histoire de Québec à une très belle table-ronde portant sur la guerre de Sept Ans. J'y ai discuté de plusieurs sujets en compagnie de mes collègues et amis Joseph Gagné, Dave Noël, Louis Lalancette et Louise Lainesse, ainsi que mon directeur de recherche Alain Laberge. Chacun d'entre nous présentait dans un premier temps un sujet particulier en quelques minutes, avant qu'une discussion entre nous nous permette d'approfondir certaines questions plus en détails. L'ampleur des sujets discutés sur cette table-ronde d'une heure et demie ne me permet pas de faire un compte-rendu complet de celle-ci. Je vais donc me contenter pour cet article de vous présenter le sujet par lequel j'ai ouvert la table-ronde, à savoir la difficile question de la dénomination de ce conflit. Le contenu de cet article est donc à la fois le fruit de mes réflexions présentées hier, auquel s'ajoutent des éléments tirés de la discussion entre mes collègues et moi dans la seconde partie de la table-ronde.

Cette guerre du milieu du 18e siècle possède bien des appellations, répondant toutes à des enjeux et objectifs qui leurs sont propres. De ce côté-ci de l'Atlantique, la dimension nord-américaine du conflit prend toute son importance dans la dénomination québécoise de guerre de la Conquête ou celle états-unienne de French and Indian War. Le cadre "local" du conflit se retrouve également dans certaines historiographies européennes, comme en Allemagne, où la Dritter Schlesischer Krieg (littéralement la "troisième guerre de Silésie") fait référence à l'antagonisme entre la Prusse et l'Autriche se disputant la région de Silésie. Il en va de même en Suède, où l'appellation Pommerska kriget ("guerre de Poméranie") centre le conflit sur les affrontements prusso-suédois dans cette région du nord de l'Allemagne, et c'est également le cas au Portugal, où cette guerre prend le nom de Guerra Fantastica ("guerre fantastique"), pour souligner la victoire quasi miraculeuse de l'armée portugaise face à l'invasion franco-espagnole de 1762.

Au Québec, le terme de Conquête est très lourd de sens, servant de repère mémoriel (parfois traumatique) dans l'imaginaire collectif québécois, hélas bien souvent repris (maladroitement dans bien des cas) pour des considérations politiques et nationalistes. Popularisée par Guy Frégault, qui en faisait le titre choc de son ouvrage en 1955, cette appellation a eu tendance dans la seconde moitié du 20e siècle (et encore en partie aujourd'hui) à cantonner le conflit dans sa seule dimension nord-américaine, ne cherchant pas à voir au-delà de la seule Nouvelle-France.

Vous aurez compris à la lecture de l'ensemble des articles de mon blogue que mes recherches visent à mettre en lumière les connexions existant entre les pratiques militaires de l'armée française en Europe et en Amérique lors de ce conflit. Si l'usage du terme de guerre de la Conquête est tout à fait approprié dans certains champs de recherches entourant ce conflit, dans des dimensions "locales" (histoire sociale, histoire des répercussions de la guerre sur les sociétés civiles, ...), cette appellation ne me semble pas judicieuse dans le cadre de mes recherches en histoire militaire.

Les affrontements entre Français et Britanniques en Amérique du Nord entre 1754 et 1760 ne sont en effet qu'une partie d'un conflit bien plus global, déclenché officiellement en Europe en 1756 et achevé par les traités de Paris et d'Hubertusbourg de 1763.
L'appellation de guerre de Sept Ans, utilisée en France et (partiellement) au Québec, fait justement référence à cette dimension "globale" du conflit, et se retrouve dans plusieurs pays: Seven Years War au Royaume-Uni et au Canada anglophone, Sibenjähriger Krieg en Allemagne, Guerra de los Siete Anos en Espagne.

M'intéressant aux discours et pratiques de la guerre par les Européens, la dénomination de guerre de Sept Ans me semble être la plus à même de traduire l'importance supérieure de la guerre en Europe aux yeux des contemporains des événements. Les décideurs militaires français, qu'ils soient en France ou en Nouvelle-France, sont pour la plupart conscients que le front principal de cette guerre est celui qui se joue en Allemagne. Les journaux et correspondances des officiers combattant en Nouvelle-France montrent la lucidité de ces derniers quant à l'importance de leurs campagnes en comparaison de celles du Vieux Continent. D'ailleurs, le marquis de Montcalm est désigné pour prendre la tête des forces françaises en Amérique en 1756 parce qu'aucun officier haut-gradé n'a accepté de risquer sa carrière sur un théâtre d'opération si éloigné de la Cour de Versailles et de ses faveurs... Les "quelques arpents de neige du Canada" dépeints par Voltaire ne sont pas qu'une formule littéraire, mais montrent l'intérêt moindre (mais en aucun cas absent) des autorités militaires françaises pour l'Amérique par rapport à l'Allemagne (Voltaire avait cependant des intérêts personnels aux Antilles, et s'est donc fait le champion des îles sucrières aux dépens des fourrures du Canada...). De même, en 1759, alors que la situation devient de plus en plus difficile pour l'armée française en Nouvelle-France, Versailles refuse l'envoi d'une importante flotte de guerre au Canada (flotte qui avait grandement aidé les défenses de la colonie en 1757 et 1758) au profit d'un projet de débarquement en Angleterre, qui s'avérera par ailleurs un fiasco total. L'exemple montre clairement l'ordre des priorités entre les différents théâtres d'opérations...

Je privilégie donc pour mes recherches en histoire militaire de ce conflit l'utilisation de l'appellation guerre de Sept Ans, qui permet de sortir du carcan trop québéco-centré que l'historiographie a conféré à celle de guerre de la Conquête. À l'heure où les nouvelles technologies ont permis à l'historien de disposer d'une somme toujours plus importante de sources en ligne, et donc plus faciles d'accès, j'estime qu'il n'est plus possible d'aborder le volet militaire de ce conflit sous le seul angle de la Nouvelle-France, mais qu'il faut au contraire chercher à replacer celle-ci dans son cadre global d'une lutte entre deux empires, ceux de la France et de la Grande-Bretagne.

Il ne faut cependant pas tomber dans le piège de l'extrême inverse. Depuis le début du 21e siècle a fleuri chez certains historiens l'appellation de "première guerre mondiale" pour cette guerre de Sept Ans, faisant référence à son déroulement multi-continental (Europe, Amériques, Inde, côtes africaines, et l'ensemble des océans du globe). Je me place pour ma part dans le camp des historiens réfutant cette appellation, qui oublie que la guerre de Sept Ans est loin d'être la première à avoir des ramifications coloniales variées (les guerres précédentes du 18e siècles, mais aussi les rivalités entre France, Espagne, Angleterre, Hollande au 17e siècle). Je préfère nuancer le propos en présentant la guerre de Sept Ans comme la première à atteindre cette ampleur dans ses ramifications coloniales, et surtout la première à avoir de telles conséquences mondiales.

Aucune de ces appellations, qu'elles soient "locales" ou "globales", n'est vraiment parfaite. Peut-être faudrait-il proposer de nouvelles dénominations? Peut-être pourrais-je copier l'exemple de Voltaire qui, traitant de la guerre de Succession d'Autriche (1741-1748), écrivait une Histoire de la guerre de 1741? Ce serait quelque peu prétentieux de ma part de vouloir m'élever au rang de Voltaire... Peut-être pourrais-je alors, comme Pierre Pouchot, officier français ayant combattu en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans, évoquer dans mes recherches "la dernière guerre de l'Amérique septentrionale entre la France et l'Angleterre"? Se poserait alors le problème de la lourdeur de la nomenclature...

J'ai souhaité vous montrer par cet article (et ma présentation d'hier) la complexité d'une étape préalable, mais tellement importante, du travail de l'historien, celle de la conceptualisation de son sujet d'étude, du choix des termes à employer et de la justification de ceux-ci. Avant même le commencement d'une recherche dans les sources, cette étape de la conceptualisation est en soi une formidable gymnastique intellectuelle. La tenue de la table-ronde des Rendez-Vous d'Histoire de Québec, et la belle discussion qui en a découlé, montrent qu'une telle  réflexion est partie intégrante de la recherche historique.

En complément de cet article, je vous invite à aller consulter le dernier billet de Joseph Gagné.

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

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mercredi 14 août 2019

Retour en vidéos sur les Fêtes de la Nouvelle-France

Bonjour!

Je vous partage aujourd'hui quelques vidéos de ma participation aux Fêtes de la Nouvelle-France, du 1er au 4 août 2019. En l'occurrence, voici des extraits des deux conférences que j'ai données, les 3 et 4 août 
(crédits vidéos: Marie Thévenin et Sandrina Henneghien).


Voici d'abord deux vidéos de la conférence que j'ai animée le samedi 3 août en compagnie de ma conjointe, Marie-Hélaine Fallu (Mlle Canadienne), intitulée "Cheveux, coiffure et compagnie: la mode capillaire masculine au 18e siècle". La première vidéo présente l'introduction de notre conférence, tandis que la deuxième, plus longue, se concentre sur le moment crucial où ma chevelure est mise à contribution par Marie-Hélaine.





Viennent ensuite les extraits de la conférence du dimanche 4 août, où j'ai partagé la scène avec mon grand ami Joseph Gagné (Curieuse Nouvelle-France), intitulée "Entre dés et dentelles: divertissement et armée en Nouvelle-France au 18e siècle". Je vous en partage trois moments, à savoir l'introduction et la conclusion, ainsi qu'une vidéo plus conséquente où je présente quelques aspects entourant les jeux de hasard au 18e siècle.







À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Rendez-Vous d'Histoire de Québec 2019

Bonjour!

Ce jeudi 15 août marque le début de la troisième édition des Rendez-Vous d'Histoire de Québec (la deuxième dans leur format actuel, qui succède aux Rendez-Vous d'Histoire de la Nouvelle-France de 2017, pour lesquels j'avais fais mes premières armes comme conférencier public), qui se tiennent jusqu'au dimanche 18 août.

Je vais justement avoir l'honneur de participer à une très belle table-ronde intitulée "Quand mémoire et histoire s'entrechoquent: la guerre de la Conquête et la recherche scientifique au Québec". J'y partagerais le temps de parole avec Alain Laberge, professeur à l'Université Laval et qui est également mon directeur de thèse, Joseph Gagné et Louis Lalancette, tous deux doctorants en histoire militaire du 18e siècle à l'Université Laval, ainsi que Dave Noël, historien et journaliste et récent auteur d'un superbe essai sur la carrière américaine du marquis de Montcalm. Il sera question de l'évolution de la recherche scientifique au Québec concernant la guerre de Sept Ans depuis les commémorations manquées de 2009.

La table-ronde aura lieu en clôture de l'événement, le dimanche 18 août à 15h, dans la superbe chapelle du Musée de l'Amérique francophone. Toutes les informations sont sur le site des Rendez-Vous d'Histoire de Québec (cliquez sur l'image ci-dessous). La table-ronde sera filmée, mais j'ignore pour le moment les détails quant à sa diffusion.



Au plaisir de vous y voir!
Michel Thévenin

vendredi 2 août 2019

Exposition sur la guerre de Sept Ans à Terrebonne


Bonjour!

Petit article rapide aujourd'hui, pour une petite publicité pour une exposition. De passage à Terrebonne hier, j'ai eu la joie de visiter la Maison Belisle (construite en 1759), qui héberge une exposition sur la guerre de Sept Ans dans cette région.



C'est une petite, mais superbe exposition. Les textes et la recherche en ont été faits (entre autres) par Philipp Portelance, doctorant à l'UQAM et historien militaire du 18e siècle, que je connais bien.
Ce que j'ai apprécié de cette exposition, c'est qu'elle offre une vision non uniquement "québécoise" du conflit. Le déroulement et les enjeux de cette guerre en Europe (et même en Inde et aux Antilles) sont expliqués à plusieurs reprises, ce qui permet de replacer la "guerre de la Conquête" dans le cadre plus global de la guerre de Sept Ans.
De même, j'ai eu la satisfaction de voir que le mythe de la "glorieuse milice canadienne" était écorné, les historiens en charge de l'exposition ayant bien précisé (à juste titre) qu'au début de la guerre de Sept Ans, la plupart des miliciens n'avaient pas connu l'expérience du combat, et donc étaient utilisés surtout comme main d'oeuvre pour l'armée (transport de matériel, travaux de fortifications, ...).

Bref, une ravissante petite exposition que je vous recommande vivement. Son propos mériterait d'avoir une tribune plus grande encore!

Je vous partage le site de la Maison Belisle pour les informations relatives à cette exposition.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

jeudi 1 août 2019

Entrevue à 3600 secondes d'histoire

Bonjour!

Pour ceux et celles qui n'ont pas pu écouter en direct l'entrevue que j'ai donnée hier soir à l'émission 3600 secondes d'histoire avec Marie-Hélaine Fallu (Mlle Canadienne), et qui souhaiteraient l'écouter en rattrapage, je vous partage ici l'enregistrement.

Bonne écoute!

Maurice-Quentin de La Tour, autoportrait au jabot de dentelles (vers 1751),
Amiens, Musée de la Picardie

Aussi, je vous rappelle que nous donnerons notre conférence sur ce sujet ce samedi 3 août, de 11h à 12h, au Musée de la Civilisation de Québec. Comme la conférence est donnée dans le cadre des Fêtes de la Nouvelle-France, il faut vous procurer le médaillon de l'événement pour y assister.

Au plaisir de vous y voir!
Michel Thévenin