lundi 9 septembre 2019

Le Dernier des Mohicans: le siège de William-Henry

Bonsoir!

Au cours de mes recherches sur la guerre de siège, on m'a souvent posé cette question: "Que penses-tu de la scène de siège dans Le Dernier des Mohicans?". J'aimerais prendre le temps de répondre à cette question par cet article.

Le film de Michael Mann de 1992 est à ma connaissance l'un des seuls films mettant en scène un siège aux 17e-18e siècles. Il s'agit en l'occurrence du siège mené par les Français du marquis de Montcalm contre le fort britannique de William-Henry en août 1757.




Je vous partage une vidéo montrant l'ensemble des scènes du siège (il y a trois segments dans le film qui présentent les opérations du siège, entrecoupés d'interventions et de dialogues des personnages principaux. L'auteur de cette vidéo a fait le montage nécessaire pour ne laisser que les moments montrant le siège en lui-même). Je m'excuse pour l'éventuelle piètre qualité, mais je n'ai pas trouvé de vidéo aussi complète que celle-ci.




Je ne vais pas évaluer la qualité de la mise en scène d'un point de vue des détails de reconstitution historique, comme ceux de l'habillement ou des manoeuvres des soldats, n'étant moi-même pas reconstitueur. Je vais aborder "l'historicité" de cette scène avec mes armes, celles de l'historien expert de la guerre de siège. Je vais donc m'intéresser à la représentation qu'offre ce film d'un siège au milieu du 18e siècle, avant de me pencher sur le siège du fort William-Henry en particulier.

Cette scène est tout bonnement excellente. Ce film nous offre une superbe représentation de ce que peut être un siège au moment de la guerre de Sept Ans. Le spectateur peut admirer distinctement plusieurs des caractéristiques d'un siège tel que théorisé par Vauban:

- les travaux de siège, à savoir les tranchées d'approche; le choix a été fait de présenter une scène de nuit. Il est vrai que les travaux d'approche étaient souvent faits la nuit (tout simplement car l'obscurité rend la défense des assiégés plus difficile), mais les sources d'époque, notamment les témoignages des officiers français ayant participé à des sièges, montrent que les travaux avaient également lieu en journée. Un gros plus de ma part pour la scène: on a même des gros plans sur les ouvriers (les sapeurs) qui creusent la tranchée, sous le tir ennemi!

- l'ampleur de la logistique d'une telle opération (on aperçoit au début le matériel de siège tiré par des chevaux et des boeufs).

- la présence, dans le contexte nord-américain, de guerriers Amérindiens, utilisés comme auxiliaires lors des sièges par les officiers français. Ici, ils sont chargés d'aller "fusiller" sur le fort, c'est-à-dire en quelque sorte de ne laisser aucun répit à la garnison, tout en assurant une bonne diversion et ainsi soulager les sapeurs chargés de faire avancer la tranchée.

- la présence des batteries d'artillerie, qui bombardent le fort (à la fois pour "protéger" l'avancée des sapeurs, mais aussi pour tenter de percer une brèche dans la fortification ennemie), et le maniement complexe des canons et mortiers (mention spéciale à l'officier artilleur utilisant un outil géométrique (j'ai du mal à distinguer précisément ledit outil) pour s'assurer de l'angle du mortier).
Une fois mis en action, les mortiers infligent des dégâts considérables au fort (et à ses occupants). À la vue de ces images, on imagine clairement l'enfer que devait vivre une garnison en plein bombardement...


Scène de bombardement, tirée de Théorie nouvelle sur le mécanisme de l'Artillerie, Dulacq, 1741

De même, la scène montre les efforts de la garnison pour défendre le fort, qu'il s'agisse de l'usage de fusées éclairantes pour observer l'avancée des tranchées (et pouvoir les viser plus efficacement), des tirs d'artillerie destinés à gêner et ralentir la progression des assiégeants, ou encore de sorties de la garnison.

En résumé, cette scène est une représentation extrêmement fidèle de l'art d'attaquer les places au 18e siècle. Je confesse que c'est pour beaucoup le côté très réussi et spectaculaire qui m'a donné envie, il y a quelques années, de m'intéresser à la guerre de siège pour mes recherches.

Cependant, tout n'est pas parfait dans cette scène. Si elle représente magistralement le déroulement d'un siège, un élément en particulier ne s'accorde pas avec le siège concerné, celui du fort William-Henry. Le côté très "spectaculaire" de la scène est amplifié par la taille des pièces d'artillerie utilisées par les Français. Lors d'un cours passage ne figurant pas dans la vidéo, le commandant de la garnison britannique, le colonel Munro, mentionne que Montcalm va bientôt faire jouer ses "mortiers de 15 pouces", des mortiers d'un calibre extrêmement lourd (dans le cas des mortiers, le calibre désigne le diamètre des bombes (sphériques) utilisées comme projectiles).


Dessin représentant un mortier, tiré du Bombardier françois, de Bernard Forest de Bélidor (1731)

Pendant des années, je me suis posé la question "est-ce que les Français ont pu transporter des armes de siège de calibres aussi lourds en Amérique?". J'ai eu un premier élément de réponse lors d'une visite à la fin du mois d'août 2016 au fort Ticonderoga (ancien fort français de Carillon, dans l'actuelle ville de Ticonderoga, dans l'État de New York). J'y avais vu, dans une exposition consacrée à l'artillerie, un demi-mortier français de 13 pouces de calibre. J'ai déjà consacré un article à cet objet fascinant, mais je me permets de vous partager à nouveau une photo, montrant la taille très impressionnante de cette moitié de mortier:



Cette exposition m'a donc donné la preuve que oui, les Français ont bien amené de l'artillerie très lourde en Amérique, des pièces destinées à la guerre de siège. Pour autant, avaient-ils des pièces aussi imposantes lors du siège du fort William-Henry? Outre les mortiers (de 15 pouces selon Munro, soit d'un calibre encore supérieur à celui de 13 pouces précédemment montré), les canons semblent particulièrement lourds et destructeurs. Je n'ai pas le calibre exact des pièces présentées à l'écran, mais pour vous donner un ordre d'idées, les pièces "de siège" étaient de calibre 18, 24 ou 32 livres (soit le poids du boulet projeté, sachant qu'une livre équivaut environ à un demi kilogramme...).

Pour répondre à cette question, il me faut me tourner vers le chevalier de La Pause, qui en tant que major-général de l'armée de siège, avait accès aux détails de l'organisation de l'expédition, détails qu'il a précieusement consigné par écrit (voir à ce sujet un de mes derniers articles, sur le matériel utilisé lors des sièges).




Les écrits de La Pause nous montrent donc que pour le siège du fort William-Henry, les Français disposaient certes d'une artillerie impressionnante au vu du contexte (48 pièces d'artillerie), mais constituée de pièces d'un calibre assez faible dans l'ensemble. Un canon de 19 livres, deux de 18 livres, un mortier de 9 pouces, trois de 6 pouces... Ce ne sont pas là les chiffres d'une artillerie de siège, comme celle représentée à l'écran. Le plus gros mortier français est de calibre 9 pouces, soit bien en-dessous des "15 pouces" affirmés par Munro dans le film! L'usage de pièces aussi lourdes dans le film sert donc clairement une volonté "spectaculaire", amplifiée par les explosions causées par le bombardement...

En définitive, la scène du siège du fort William-Henry est exquise. Elle donne au spectateur une image très fidèle de ce qu'est la guerre de siège au 18e siècle. À ma connaissance, aucun autre film ne donne autant de détails visuels d'un siège. Le seul problème est que si elle représente excellemment la guerre de siège, elle ne correspond que partiellement à la réalité du siège de William-Henry... Mais, après tout, cela n'enlève rien à la qualité du film, et il faut bien un historien expert en la matière pour être aussi pointilleux!

Comme je l'ai mentionné précédemment, Le Dernier des Mohicans a été (et est encore après bien des années et bien des visionnages) une source d'inspiration dans mes recherches. Attendez-vous donc à en entendre parler à nouveau sur ce blogue! (très prochainement, je m'intéresserais à la question de la reddition des places, et à la représentation qu'en donne ce film).

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin


Si vous appréciez mes recherches et le contenu de ce blogue, acheter mon premier livre (qui est maintenant disponible en France!) serait une très belle marque d'encouragement (voir à droite, "Envie d'en savoir plus?"). Si vous ne voulez pas vous procurer le livre, mais que vous souhaitez tout de même m'encourager à poursuivre sur cette voie, vous pouvez faire un don via Paypal (voir à droite l'onglet "Soutenir un jeune historien"). Vous pouvez également partager cet article (ou tout autre de ce blogue), vous abonner au blogue ou à la page Facebook qui y est liée. Toutes ces options sont autant de petits gestes qui me montrent que mes recherches et le partage de celles-ci auprès d'un public large et varié sont appréciés, et qui m'encouragent à poursuivre dans l'étude d'aspects souvent méconnus de l'histoire militaire du 18e siècle.

1 commentaire:

  1. effectivement trés bon film relatant parfaitement ce qu'était cette époque.

    RépondreSupprimer