jeudi 30 janvier 2020

Une magnifique carte britannique du siège de Québec de 1760

Bonjour!

Je vous partage aujourd'hui une autre belle découverte, ici iconographique.

J'ai été mis au courant hier (un grand merci à Mathieu Perron) de la récente mise en ligne d'une collection exceptionnelle de documents, celle des cartes militaires possédées par le roi George III de Grande-Bretagne, dont le règne s'étend de 1760 à 1820. Vous pouvez consulter à ce sujet l'article (en anglais) du journal The Guardian ici.

Il ne s'agit ni plus ni moins que d'un ensemble de plus de 3 000 cartes et gravures présentant des campagnes, sièges et batailles de conflits où l'Angleterre fut impliquée (les guerres de succession du 18e siècle, les guerres napoléoniennes du début du 19e), mais aussi des guerres plus "lointaines", comme celles entre les Habsbourg d'Autriche et les Ottomans au 16e siècle ou les guerres russo-turques du 18e siècle.

Je vous laisse ici le lien permettant d'accéder à cette formidable collection:

Je n'ai que très rapidement survolé pour l'instant les richesses de cet ensemble, pour ainsi dire je n'ai regardé que les cartes concernant la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France. J'ai non seulement constaté la présence de cartes assez justes de la région de Québec en 1759-1760, mais je suis surtout tombé sur une pièce qui m'intéresse au plus haut point: cette magnifique carte représentant la bataille de Sainte-Foy du 28 avril 1760, et surtout le siège mené par les Français contre la ville de Québec qui suit immédiatement la bataille! (Vous pouvez consulter ici mon article au sujet de l'échec français devant Québec).

Map of the Battle of Sainte-Foy, 1760 (datée "1760 or later")
Notice complète disponible ici



À première vue, on pourrait s'étonner de la présence de deux événements distincts sur une même carte. C'est là qu'une petite explication sur la cartographie militaire s'impose. De manière très résumée (j'aurais bien des choses à dire sur ce sujet), la cartographie militaire des 17e et 18e siècles répond à des objectifs bien précis: plutôt que d'avoir une simple représentation "physique" d'un territoire, la carte doit surtout en exprimer les possibilités d'utilisation militaires sur le terrain. La carte "militaire" s'appuie donc sur les représentations d'événements militaires passés comme des batailles, des sièges, mais aussi des marches d'armées ou l'établissement de camps. Quelques fois, des suggestions pour des campagnes futures peuvent aussi y figurer. La carte militaire, souvent accompagnée de mémoires explicatifs, a ainsi une profonde dimension didactique, destinée à préparer de possibles futures campagnes sur le territoire représenté.

Ici, concernant cette carte de Québec avec la bataille de Sainte-Foy et le siège qui s'ensuit, la seule incertitude est celle de sa date (1760 ou après). La guerre de Sept Ans se termine en 1763, et pendant les trois années séparant la conquête du Canada du traité de Paris qui reconnaît la cession de la colonie, Québec est susceptible d'être la cible d'une nouvelle attaque française. Advenant la reprise de la ville par les Français, un tel document représentant notamment les travaux de siège peut s'avérer très utile...




Au-delà de ces considérations, cette carte revêt un intérêt particulier à mes yeux puisqu'elle présente justement les travaux de siège des Français, ce qui permet d'en avoir une visualisation bien plus "concrète" que les descriptions textuelles dans les sources... En tout cas, j'ai trouvé un excellent allié iconographique pour mes prochaines conférences sur le siège de Québec de 1760!

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

mercredi 29 janvier 2020

Une reconstitution de la basse-ville de Québec en 1759

Bonjour!

Je vous partage aujourd'hui une petite vidéo (5 minutes) réalisée par la ville de Québec, qui propose une reconstitution très intéressante de la basse-ville de Québec au moment de la campagne de 1759 menée par les Britanniques contre la capitale de la Nouvelle-France (voir ici mon article sur le/les sièges de Québec).

L'animation permet de voir les différents éléments qui assuraient la défense de la basse-ville, et surtout de les replacer dans l'aspect actuel de la ville (la vidéo date de 2014).

Bon visionnage!


À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

jeudi 23 janvier 2020

Quel sort pour les officiers français après la reddition de Montréal de 1760?

Bonsoir!

Je souhaite aujourd'hui vous partager quelques éléments pour faire suite à mon article sur le refus d'Amherst d'accorder les honneurs de la guerre aux garnisons françaises de la Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (voir mon article ici).

L'acte de capitulation de Montréal du 8 septembre 1760 précisait que "toute la garnison de Montréal doit mettre bas les armes, et ne servira point pendant la présente guerre". L'intérêt stratégique d'une telle mesure pour les Britanniques est de priver Louis XV d'officiers et de soldats aguerris pour ses prochaines campagnes européennes. Mais au-delà de cet aspect stratégique, ce geste d'Amherst est un rude coup porté aux officiers français. Non seulement leur honneur de gentilhomme est touché, mais surtout, l'interdiction de combattre pour le restant du conflit prive ces professionnels de la guerre de possibilités de faire avancer leur carrière.


Certains de ces officiers, comme le chevalier de La Pause ou le comte de Malartic, sont ainsi réformés (c'est-à-dire qu'ils conservent leur grade, mais sont mis temporairement hors de service).

De rares officiers connaissent un meilleur sort, en obtenant une dispense qui les autorise à servir à nouveau. Je ne citerai ici que l'exemple le plus marquant, celui du chevalier de Lévis, qui avait succédé au marquis de Montcalm à la tête des troupes régulières françaises en Nouvelle-France à la mort de ce dernier à la bataille des Plaines d'Abraham du 13 septembre 1759.

Le 17 février 1761, Lévis écrit une lettre adressée à William Pitt, un des principaux ministres britanniques et au général Ligonier, courtisan proche du nouveau roi George III, et dont voici la teneur:
"La capitulation qui a été faite entre M. le général Amherst et M. de Vaudreuil, gouverneur général du Canada, porte que les troupes que je commandais dans ce pays ne doivent pas servir de la présente guerre. C'est un événement très contraire et décisif pour ma fortune, puisqu'il m'empêchera de mériter les grâces qu'il pourrait plaire au Roi mon maître de m'accorder. La générosité avec laquelle j'en ai usé envers les troupes de Sa Majesté Britannique, que le sort de la guerre a fait tomber dans mes mains et mon humanité à empêcher les cruautés des sauvages, ce qui est connu de tous les officiers généraux et particuliers des troupes anglaises qui ont servi en Amérique, me font espérer que vous voudrez bien vous intéresser pour moi auprès de Sa Majesté le Roi d'Angleterre pour me permettre de servir".
Il appuie sa demande d'une autorisation de servir par le comportement qu'il a adopté envers ses adversaires en Amérique, mettant de l'avant la culture militaire partagée par les deux belligérants, qui repose sur un respect et une courtoisie mutuelle (voir mes articles à ce propos ici et ).

Le 10 mars suivant, le général Ligonier lui répond que sa demande a été acceptée, non sans une pointe d'humour:
"J'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de Sa Majesté le désir que vous avez de servir et les avantages qui vous en résulteraient. La manière généreuse avec laquelle vous avez traité nos Anglais a d'abord déterminé Sa Majesté d'accorder votre demande. Vous êtes donc en liberté, Monsieur, de servir en Europe seulement. Si le Roi excepte l'Amérique, c'est votre faute, vous y avez servi avec trop de distinction".
Quelques jours plus tard, le 24 mars, Pitt répond également à Lévis, et lui confirme (plus sobrement) que George III lui accorde l'autorisation de servir en Europe.

Rares sont cependant les officiers à obtenir une telle faveur. Certains trouvent toutefois un moyen de se montrer utile tout en ne combattant pas. C'est le cas pour certains ingénieurs militaires, véritables experts scientifiques et techniques au sein des armées européennes (voir ici mon article présentant les ingénieurs).

Il n'est pas rare au siècle des Lumières que ces experts soient "prêtés" par un monarque à une puissance amieL'excellence de la formation française (notamment celle reçue à l'École Royale du Génie de Mézières à partir de 1748, voir ici) est la plus demandée, et le 18e siècle fourmille d'exemples de missions militaires au cours desquelles les ingénieurs militaires vont aider soit à construire ou renforcer des fortifications, soit pour former des ingénieurs locaux.

C'est le cas notamment en 1761. Devant la crainte d'une possible attaque des Ottomans, le Grand-Maître de l'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean, qui contrôle l'île de Malte (point stratégique au sud de la Sicile) requiert l'aide de Louis XV. Or la guerre fait encore rage en Europe, et le roi de France ne peut se permettre de se priver des services de ses ingénieurs militaires. Il décide donc d'envoyer certains ingénieurs ayant servi au Canada, "inoccupés" par la force des choses (en l'occurrence par l'article de la capitulation de Montréal leur interdisant de combattre) dans une mission technique.

Quatre ingénieurs sont ainsi envoyés à Malte en mai 1761:
- Nicolas Sarrebource de Pontleroy, ancien ingénieur en chef de la colonie depuis 1757 (voir ici les difficultés qu'il a rencontrées dans cette tâche);
- Jean-Nicolas Desandrouins, qui s'est illustré à plusieurs reprises et à livré un mémoire très complet sur la défense du fort Carillon (voir ici);
- François de Caire, dont le court séjour en Nouvelle-France fut marqué par son duel victorieux contre l'ingénieur canadien Michel Chartier de Lotbinière (voir mon article à ce sujet ici);
- François Fournier, qui fut chargé de la défense en 1759 du fort de l'Île-aux-Noix au nord du lac Champlain.

Cette mission technique est placée sous le commandement de François-Charles de Bourlamaque, officier compétent et respecté et second du chevalier de Lévis lors de la dernière campagne de 1760. Petite ironie du sort, le 10 mars 1761, Lévis avait écrit une nouvelle lettre au général Ligonier, par laquelle il demandait une autorisation de combattre pour Bourlamaque, mais il semble qu'il n'ait jamais eu de réponse à ce sujet...

Du séjour maltais des cinq officiers, on ne sait hélas que très peu de choses, si ce n'est qu'il fut très court (quelques mois tout au plus, puisqu'on retrouve des traces de Desandrouins à Strasbourg en 1762). Leur mission à Malte s'est résumée à une inspection et à une validation (avec quelques légères améliorations) des fortifications construites par un autre ingénieur français, le chevalier de Tigné, au cours d'une mission technique semblable en 1715, et dont un aperçu est visible sur cette carte de 1724.

Les villes, forts et châteaux de Malte, gravure de Claude-Auguste Berey, 1724,
disponible sur Gallica



De ces ingénieurs, Desandrouins est celui qui connaîtra par la suite la carrière la plus intéressante. Lors de la guerre d'Indépendance américaine, il commande les ingénieurs militaires du corps expéditionnaire français envoyé pour aider les insurgés américains, et fera profiter à l'alliance franco-américaine de son expérience de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France. J'aurai certainement l'occasion d'en parler plus longuement dans un futur article.

Pour en apprendre plus sur le destin étonnant d'autres officiers de l'armée française après la reddition de Montréal, je vous recommande de lire le livre de mon excellent ami Joseph Gagné (auteur du blogue Curieuse Nouvelle-France), Inconquis: deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760, édité par Septentrion.

Voilà qui conclut cet article pour aujourd'hui.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources:
- Anne Blanchard, Dictionnaire des ingénieurs militaires, 1691-1791, Montpellier, Université Paul Valéry, 1981.
- Henri-Raymond Casgrain, Lettres du Chevalier de Lévis concernant la guerre du Canada, 1756-1760, Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, 1889.
- Henri-Raymond Casgrain, Lettres et pièces militaires. Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense 1756-1760, Québec, L-J. Demers & Frère, 1891.
- Stephen Spiteri et Hermann Bonnici, " "À la Vauban": French military architecture in eighteenth century Malta", dans Michèle Virol, Philippe Bragard et Nicolas Faucherre (dir.), L'influence de Vauban dans le monde, Besançon et Namur, Réseau des sites majeurs de Vauban et Les amis de la citadelle de Namur, 2014, p. 119-128.

jeudi 9 janvier 2020

Bougainville et la "don Quichotterie" du marquis de Vaudreuil

Bonsoir!

Pour vous souhaiter une bonne année 2020, je vous reviens avec une petite drôlerie issue des écrits de Bougainville.

Je vous avais présenté précédemment les opinions assez péjoratives de Bougainville sur Monsieur de Rigaud, frère du gouverneur général de la Nouvelle-France, le marquis de Vaudreuil (voir mon article ici).

Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, marquis de Vaudreuil (1698-1778),
Portrait attribué à Donat Nonotte, vers 1753-1755, Bibliothèque et Archives Canada

Le jeune et bouillant officier français ne s'est pas privé pour mettre également par écrit quelques remarques cinglantes envers le gouverneur de la colonie. Un exemple est donné lors de la campagne de l'été 1758.

Au début de l'année 1758, le marquis de Vaudreuil compte planifier une campagne similaire à celle de l'année précédente. En 1757, il avait en effet profité de l'expédition britannique contre la forteresse de Louisbourg (sur l'actuelle Île du Cap-Breton, Nouvelle-Écosse), qui avait mobilisé la majeure partie de leurs troupes disponibles en Amérique du Nord (et qui s'était soldée par un échec), pour envoyer le marquis de Montcalm assiéger victorieusement le fort William Henry, sur la rive sud du lac Saint-Sacrement (actuelle ville de Lake George, dans l'État de New York. Voir mes articles sur la préparation logistique de ce siège, et sa représentation dans le film Le Dernier des Mohicans).

Pour Vaudreuil, le doute n'est pas possible: les Britanniques consacreront tous leurs efforts à la conquête de Louisbourg, ce qui lui laissera le champ libre sur les autres fronts. Dès le mois de mars, les Français sont au courant des préparatifs britanniques pour assiéger Louisbourg, ce qui conforte Vaudreuil dans son idée. Il prévoit alors une expédition, menée par le chevalier de Lévis, sur la ville de Corlar (Schenectady, État de New York). Cette diversion occupera les forces britanniques dans la région des lacs Champlain et Saint-Sacrement, et permettra à Montcalm, à la tête de l'armée rassemblée au fort Carillon (Ticonderoga, État de New York), d'aller assiéger le fort Edward, situé à 25km de l'ancien fort William Henry, et d'ainsi s'assurer d'une maîtrise totale sur la région.

Les instructions qu'il remet à Montcalm le 23 juin, en plus de détailler le plan de la diversion sur Corlar/Schenectady, montrent la confiance dans laquelle il baigne:
"Supposé que les ennemis, comme il y a lieu de le craindre par les dépositions des derniers prisonniers, ne viennent au lac Saint-Sacrement, où était situé le fort Georges (nom donné par les Français au fort William Henry), cette démarche de la part des ennemis peut avoir deux objets. Le premier, s'ils peuvent en avoir les moyens, ce qui n'est pourtant pas vraisemblable, s'il est vrai qu'ils entreprennent l'expédition de Louisbourg, est de venir attaquer Carillon. Le second peut être la démonstration d'une défensive audacieuse, ce qui paroît plus croyable".
À l'entrée du 30 juin 1758 de son journal de campagne, Bougainville commente la stratégie de Vaudreuil en ces termes: "Persistera-t-il dans son aveugle sécurité pour cette frontière? S'opiniâtrera-t-il à sa don Quichotterie de Corlar?" Le ton de Bougainville est particulièrement cinglant en cela qu'il renvoie au célèbre personnage de la littérature espagnole Don Quichotte, connu pour ses projets chimériques et invraisemblables...

Étant un proche du marquis de Montcalm, commandant des troupes françaises qui a connu une relation pour le moins houleuse avec Vaudreuil, Bougainville a pris fait et cause pour l'officier français, ce qui explique en partie le ton qu'il utilise en évoquant les Canadiens, et ici Vaudreuil.

Pourtant, toutes ses remarques ne sont pas à lire sous ce seul prisme. La pique de Bougainville quant à la "don Quichotterie" de Vaudreuil, si elle traduit le ton sarcastique auquel l'officier habitue ses lecteurs, met tout de même en lumière l'erreur de Vaudreuil dans son appréhension et sa planification de la campagne à venir. En étant persuadé que l'opération contre Louisbourg contraindra les Britanniques à l'inaction dans les autres parties, Vaudreuil se trompe lourdement. Le déséquilibre numérique des forces en Amérique, présent dès 1755 en faveur des Britanniques, s'est fortement amplifié en 1758. Au début de la campagne de 1758, ceux-ci sont en effet capables de mobiliser près de 50 000 hommes de troupes. Dans les derniers jours de juin, Montcalm et Bougainville, alors au fort Carillon, sont au courant que près de 20 000 ennemis sont postés autour du fort Edward. C'est ce qui explique l'emportement de Bougainville concernant Vaudreuil et l'aveuglement de ce dernier quant aux forces en présence en Amérique. Le détachement mené par Lévis sur Corlar (1600 hommes, dont 400 soldats d'élite des troupes de Terre) serait ainsi d'une utilité infiniment supérieure à Carillon...

L'erreur de jugement de Vaudreuil n'aura cependant pas de conséquence sur la suite immédiate de la campagne, Montcalm brisant l'offensive britannique sur le lac Champlain en remportant une éclatante victoire devant le fort Carillon le 8 juillet 1758.

Voilà qui clôt cet article pour ce soir.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin


Sources:

- Mémoire pour servir d'instruction à M. le marquis de Montcalm, donné par M. le marquis de Vaudreuil pour la campagne 1758, dans Henri-Raymond Casgrain, Lettres et pièces militaires. Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense 1756-1760, Québec, Imprimerie L.-J Demers & Frère, 1891, p. 25-26. Casgrain date le mémoire du 23 janvier 1758, mais il date bien du 23 juin.

- Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada. Mémoires, journal, lettres, Québec, Septentrion, 2003.