lundi 18 février 2019

Québec 1760: les raisons d'un siège et de son échec

Bonsoir à toutes et à tous!

Lorsqu'on associe la ville de Québec et la guerre de Sept Ans, une image revient inévitablement, celle de la bataille des Plaines d'Abraham du 13 septembre 1759, qui précipite la reddition de la ville aux Britanniques (la garnison ne se rend cependant que le 18 septembre). L'importance mémorielle de cet événement, sorte de "date repère" pour évoquer la chute de la Nouvelle-France, a tendance à occulter la dernière année de guerre en Amérique du Nord, et les efforts déployés par les Français en 1760 pour tenter de récupérer Québec et sauver la colonie. C'est de ce siège de Québec de 1760 qu'il sera question aujourd'hui.
Ce siège est en lui-même un objet d'études fort intéressant, tant par ses enjeux stratégiques que par ses aspects tactiques, ou par son dénouement faisant de lui le seul des onze sièges "européens" en Nouvelle-France à se solder par un échec de l'assiégeant.

L'année 1759 s'achève sur un bilan désastreux pour la Nouvelle-France, les Britanniques ayant percé ses défenses sur tous les fronts. À l'ouest, Niagara est tombé après un siège de trois semaines, réduisant à néant la présence française sur le lac Ontario; au sud, les forts du lac Champlain ont été pris ou abandonnés, la frontière étant repoussée au fort de l'Île-aux-Noix, à l'extrémité nord du lac; enfin, à l'est, la perte de Québec, très douloureuse sur le plan symbolique, offre aux Britanniques un point d'appui au coeur de la vallée du Saint-Laurent.
À l'hiver 1760, seules deux options permettent d'envisager de sauver la colonie: soit l'ouverture de la navigation sur le Saint-Laurent amènera la nouvelle d'une paix conclue en Europe, soit Louis XV se sera décidé à envoyer en Nouvelle-France un secours suffisamment conséquent pour lui permettre de survivre jusqu'à ce que les hostilités cessent. Québec devient alors l'enjeu principal de la stratégie française établie par le gouverneur, le marquis de Vaudreuil. Le 16 avril, Vaudreuil envoie ses ordres au chevalier de Lévis, nouveau commandant des forces françaises depuis la mort du marquis de Montcalm à la bataille des Plaines d'Abraham. Quoique teintées d'un pessimisme dont il n'est pas coutumier, ses instructions exposent clairement l'importance de reprendre Québec, véritable porte d'entrée de l'Amérique, afin de faciliter la rencontre avec les renforts espérés:
"Quoique le succès du siège de Québec paroisse incertain, et par le peu de moyens que nous avons en munitions, artillerie et vivres, et par nos forces mêmes vis-à-vis celles de l'ennemi qu'il est de notre prudence de supposer d'environ quatre mille combattants, qui pourront augmenter en nombre par les secours que les Anglois attendent d'un instant à l'autre, nous avons néanmoins mûrement réfléchi et déterminé avec M. le chevalier de Lévis que tous ces obstacles ne sauroient nous arrêter, que l'expédition de Québec est l'unique parti à prendre, et pour conserver encore la colonie au Roi, et pour nous mettre à portée de recevoir librement les secours qu'il aura plus à Sa Majesté de nous faire passer, d'autant mieux que les ennemis ayant pris poste à la côte du sud vis-à-vis de Québec, et y établissant des batteries, ces secours ne sauroient passer sans un danger évident."
Portrait de François-Gaston, chevalier de Lévis, anonyme, Musée Stewart

À la fin du mois d'avril, les troupes du chevalier de Lévis (environ 7 000 hommes) arrivent en vue de Québec. Le 28 avril, Lévis remporte une victoire encourageante à la bataille de Sainte-Foy contre la garnison de Québec, imprudemment sortie de la ville. La victoire à peine consommée, Lévis entame les préparatifs d'un siège en règle. Les ingénieurs militaires opèrent des reconnaissances, et déterminent le meilleur angle d'attaque de la place. J'en profite pour signaler que l'importance de ce siège contraint Lévis à faire appel à trois des cinq ingénieurs militaires alors présents dans la colonie. La présence de plusieurs de ces experts de la guerre de siège n'empêche pourtant pas une divergence d'avis entre Lévis et les ingénieurs. Alors que Lévis et d'autres officiers proposent de porter l'attaque sur une partie plus forte des fortifications, mais entourée d'un terrain plus favorable aux travaux de siège, les ingénieurs préconisent l'inverse, de concentrer les efforts sur une partie plus faible des fortifications, mais sur un terrain plus difficile:
"Les opinions furent partagées, ainssy qu'il arrive souvent pour l'attaque. On pouvoit attaquer la place entre le revers des hauteurs, où on se seroit appuyé par des redouttes, et celuy de la cotte d'Abrahan, pour approcher de la porte St Jean et de toute la partie quy est au-dessous; cet espace étoit peu considérable, les approches étoient aisées et le terrain favorable, et d'où on auroit pris de revers sur toute la partie qui est vis-à-vis la rivière St Charles, mais il y avoit à craindre quelques ricochets des trois bastions des hauteurs, à l'approche de la place; on assuroit la massonnerie bonne dans cette partie. Par les hauteurs, il n'y avoit pas demy-pied de terre, les batteries qu'on pouvoit y construire au plus près ne pouvoient être qu'à environ 150 à 180 toises. Les approches ne pouvoient être postées plus loin, attendu qu'il y avoit un grand ravin quy étoit enfilé par la partie de la porte St Jean, conséquemment il falloit faire brèche et déboucher de cette partie. On assuroit la maçonnerie mauvaise. Cette dernière opinion fut celle du Sieur Pontleroy, ingénieur en chef, Mr le chevalier de Lévis étoit porté pour l'autre, mais il se rendit aux raisons que lui donna cet ingénieur, quy d'ailleurs ayant fait un long séjour à Québec devoit connaître cette place."





Plan de la ville de Québec, par l'ingénieur Chaussegros de Léry, 1752,
Archives Nationales d'Outre-Mer


Se rangeant à l'avis des ingénieurs, Lévis fait ouvrir la tranchée dans la nuit du 29 au 30 avril. Il en informe le gouverneur Vaudreuil, tout en le prévenant de la difficulté de la tâche qui s'annonce:
"J'ai l'honneur de vous rendre compte que nous avons ouvert la tranchée la nuit dernière. Le travail n'a pas été considérable, le terrain étant des plus mauvais et presque point de terre. Nous avons employé toute la journée d'hier à former notre parc d'artillerie et à préparer les matériaux pour le siège. Les ennemis démasquent beaucoup d'embrasures, ce qui nous annonce un feu considérable de leur part. Tout cela ne seroit rien, si nous avions l'artillerie et les munitions nécessaires pour leur répondre; mais il faut espérer qu'il nous viendra quelque chose de France. Si notre foible artillerie pouvoit ouvrir le mur je vous assure que j'y grimperois le premier et que le succès ne dépendra ni de moi ni des troupes, qui sont très bien disposées."
L'avenir donne raison au chevalier. Plus que le terrain rocailleux entourant les murs de Québec, qui complique la tâche des travailleurs, c'est le manque d'artillerie de siège (observé par Lévis dans sa lettre à Vaudreuil) qui pénalise l'armée française. La prise de Québec par les Britanniques en septembre 1759 ne leur livre pas seulement la capitale de la colonie ainsi que le port d'accueil des renforts de France. Un inventaire détaillé des prises de guerre britanniques nous montre des chiffres plutôt impressionnants: 10 canons de 36 livres, 45 canons de 24 livres, 10 mortiers de 13 pouces, et quantité de pièces légères, pour un total s'élevant à près de 300 pièces d'artillerie. La quasi-totalité de l'artillerie de siège disponible dans la colonie est capturée.



Le chevalier de Lévis réussit péniblement à réunir quelques pièces d'artillerie lourde pour tenter de reprendre Québec. Mais celles-ci se révèlent inefficaces face aux fortifications de la ville. Une nouvelle lettre de Lévis à Vaudreuil du 13 mai indique qu'après quinze jours de siège, seuls les secours tant espérés de France pourraient entraîner la prise de la place:
"Nos batteries sont en mauvais état; nous avons eu hier au soir deux pièces de 18 qui ont crevé, et la pièce de 24 qui a été mise hors de service par une bombe; elle étoit déjà fendue. Avec le peu de grosses pièces qui nous restent et la qualité n'en étant pas bonne, nous sommes hors d'état de faire brèche. Les officiers d'artillerie se plaignent aussi que la poudre est éventée, et n'a pas la force qu'elle devroit avoir. Sans tous ces accidents, nous aurions fait brèche, n'étant qu'à deux cents toises de la place, en attaquant le bastion qui est entre celui de la poudrerie et celui de la porte Saint-Louis. Dans ces circonstances fâcheuses, je suis obligé de temporiser et chercher à gagner du temps, en me tenant en mesure de pouvoir recevoir les secours qui pourront nous arriver de France. Et, si nous en recevons en canons et poudre, la place sera bientôt prise; car, sans avoir fait brèche, il n'est pas possible de tenter une escalade, la garnison étant encore d'environ deux mille cinq cents hommes combattants, les remparts étant bordés d'artillerie et nos troupes étant trop harassées et affoiblies pour tenter une attaque désespérée. Je compte soutenir toujours les batteries en état avec du canon de 12 et quelques bombes, afin de ménager la poudre, pour maintenir plus longtemps le siège et être en mesure de profiter des secours. C'est le seul parti à prendre dans les circonstances où nous nous trouvons".
Deux jours plus tard, les premières voiles arrivant devant Québec arborent le pavillon britannique, contraignant Lévis à lever le siège et à se replier sur Montréal, qui capitule le 8 septembre 1760.

Le siège de Québec de 1760 est le seul siège en Amérique pendant la guerre de Sept Ans ayant vu l'assiégeant échouer à s'emparer d'une place. Pourtant, comme l'ensemble des autres fortifications de Nouvelle-France, les murailles de Québec n'étaient pas perçues par les officiers français comme étant à même de subir un siège en règle. Au début de l'année 1759, Bougainville notait par exemple "Québec est sans fortification et n'en est pas susceptible: si on n'en défend pas les approches, il faut rendre les armes". Le commandant malheureux de la garnison et signataire de la reddition de Québec en 1759, Ramezay, notait lui aussi le faible état des défenses de sa place: "Tous ceux qui connaissent la colonie sçavent que cette ville n'étoit point fortifiée, ou du moins que ses fortifications ne la rendoient point susceptible de deffense".
Pourtant, à en croire le chevalier de La Pause, le pessimisme ambiant concernant l'enceinte érigée en 1745 par Chaussegros de Léry était infondé: "J'observeray que, croyant l'enceinte de Québec plus mauvaise qu'elle ne l'est, on n'avoit pas cru qu'elle put porter du canon; il a fallu que nous l'attaquions ensuite pour que les ennemis nous fissent connoître notre ignorance"...

Voilà pour aujourd'hui. N'hésitez pas à me poser vos questions si vous souhaitez des éclaircissements sur ce siège de Québec de 1760.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

2 commentaires:

  1. cette attaque a t'elle une relation avec les attaques perpétrées continuellement sur Bostons par les canadiens

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    1. Le siège de Québec de 1760 n'a pas directement de lien avec les raids contre Boston non.
      Par contre, d'une certaine manière, les tentatives répétées des Treize Colonies britanniques de s'emparer de la Nouvelle-France, qui mèneront ultimement à la guerre de Sept Ans, sont motivées entre autres par les attaques canadiennes sur Boston et d'autres villes ayant eu lieu au 17e siècle et dans la première moitié du 18e.

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