mardi 1 janvier 2019

Les sièges "européens" en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans

Bonjour à toutes et à tous, et bonne année!

Aujourd'hui, je vous propose un article qui vient en quelque sorte compléter le dernier, qui explicitait le modèle européen de la guerre de siège tel que théorisé par Vauban à la fin du 17e siècle.

Comme je l'ai déjà précisé, je me suis intéressé lors de ma maîtrise à la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (plus connue au Québec sous le nom de guerre de la Conquête). Le coeur de ma réflexion était de confronter ce modèle de la guerre de siège "à l'européenne" aux réalités du contexte nord-américain, et de voir dans quelle mesure les officiers français et britanniques ont du (ou non) adapter ce modèle.

Gravure tirée de Éléments de la guerre des sièges, ou traité de l'artillerie, de l'attaque
 et de la défense des places, Guillaume Le Blond, 1743.

Pour ce faire, une étape importante fut de recenser les combats qui répondent à la définition de ce modèle de guerre de siège "européenne". Une petite précision s'impose: au milieu du 18e siècle, rares sont les sièges qui respectent scrupuleusement les douze étapes du siège idéal "à la Vauban": la guerre de siège a connu une certaine "accélération" depuis la fin du 17e siècle, grâce notamment aux progrès de l'artillerie (un prochain article me permettra de détailler cette accélération de la guerre de siège). Il n'en demeure pas moins que la plupart des sièges européens du 18e siècle reprennent le schéma proposé par Vauban (tranchées, parallèles, batteries d'artillerie, ...). C'est à la lumière de ces considérations que j'ai pu identifier les sièges en Nouvelle-France s'inscrivant dans ce modèle "européen" de la guerre de siège. La liste des principaux affrontements du conflit a certes déjà été établie par plusieurs historiens. Il m'a cependant fallu creuser dans les relations de ces combats (que ce soit dans les journaux militaires des officiers ou dans leurs correspondances militaires ou personnelles) à la recherche des termes appartenant au vocabulaire de la guerre de siège, afin d'identifier avec précision les sièges nord-américains répondant au modèle alors en vigueur en Europe. Par exemple, le 30 avril 1760, soit deux jours après sa victoire sur les Britanniques à la bataille de Sainte-Foy, le chevalier de Lévis écrit au marquis de Vaudreuil: "J'ai l'honneur de vous rendre compte que nous avons ouvert la tranchée la nuit dernière", prévenant ainsi le gouverneur de la Nouvelle-France du commencement du siège de Québec par l'armée française...  

J'ai ainsi réussi à identifier onze sièges en Amérique du Nord lors de cette guerre menés selon le modèle européen:

- Fort Beauséjour (Acadie), 1755;
- Forts Chouaguen/Oswego (actuelle ville d'Oswego, État de New York), 1756;
- Fort William-Henry (Lake George, État de New York), 1757;
- Louisbourg (Île du Cap Breton), 1758;
- Fort Frontenac (Kingston, Ontario), 1758;
- Fort Niagara (Yougstowne, État de New York), 1759;
- Fort Carillon (Ticonderoga, État de New York), 1759;
- Québec, 1759;
- Québec, 1760;
- Fort Lévis (sur une île actuellement immergée, non loin d'Ogdensburg, État de New York), 1760;
- Fort de l'Isle-aux-Noix (actuel lieu historique national du fort Lennox, province de Québec), 1760.

Je ne rentrerai pas dans le détail de chacun de ces sièges, car j'aurai l'occasion de présenter différents aspects de certains sièges dans d'autres articles. Je me contenterai donc de remarques générales sur ces onze sièges nord-américains.

Tout d'abord, de ces onze sièges, seuls trois sont menés par l'armée française sur des places britanniques (Chouaguen 1756, William Henry 1757, Québec 1760), les huit autres voyant les Français dans le rôle d'assiégés. Le faible nombre de sièges "offensifs" menés par les Français et leurs dates (deux sur trois ont lieu au début du conflit) illustrent le net ascendant acquis par les Britanniques en Amérique à partir de 1758, l'apport de troupes toujours plus nombreuses leur permettant de prendre le contrôle des opérations et de resserrer progressivement l'étau sur la Nouvelle-France, jusqu'à la capitulation de Montréal du 8 septembre 1760.

Plan britannique du siège du fort Niagara en 1759, 
tiré de A set of Plans and Forts in America, Reduced from Actual Surveys, 1765.

Ces sièges respectent le schéma européen hérité de Vauban, avec une ou plusieurs reconnaissances effectuées par les ingénieurs (dont celle fatale à l'ingénieur de Combles), suivies de l'ouverture de la tranchée et des différents travaux de sièges, accompagnés de l'établissement de batteries d'artillerie destinées à battre en brèche les fortifications assiégées. Aucun de ces sièges ne se termine cependant par un assaut d'infanterie permettant d'emporter la place. Loin de contrevenir au modèle européen de la guerre de siège, cette absence d'assaut répond à la raréfaction de cette pratique observée en Europe depuis la fin de la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713). Comme je l'ai brièvement évoqué plus haut, la guerre de siège a connu une certaine "accélération", et la plupart des garnisons capitulent désormais après l'ouverture de la brèche, avant que l'assaut soit donné par les assiégeants.

Attaques du fort William-Henry en Amérique par les troupes françaises 
aux ordres du Marquis de Montcalm, Bibliothèque et Archives Nationales du Canada

Le modèle de siège théorisé par Vauban ne laissait que peu de chances aux assiégés de sortir victorieux d'un siège. Cette tendance se confirme en Amérique lors de la guerre de Sept Ans, puisque des onze sièges, un seul voit l'échec des assiégeants. L'arrivée de renforts britanniques sur le Saint-Laurent en mai 1760 force en effet le chevalier de Lévis à lever le siège de Québec, sans avoir pu s'emparer de la place...

En définitive, alors qu'à première vue, on pourrait s'attendre à une impossibilité d'appliquer la guerre de siège européenne au contexte nord-américain (nature du terrain, distances, communications, faiblesse numérique des armées en comparaison de l'Europe, ...), le principal résultat de ma recherche de maîtrise fut de montrer qu'au contraire, malgré les difficultés rencontrées en Amérique du Nord, les officiers européens ont réussi à imposer une pratique européenne de la guerre de siège. Seuls quelques traits mineurs dans le déroulement des sièges en Nouvelle-France diffèrent de ceux ayant lieu en Europe. La principale de ces légères modifications est l'impossibilité pour les assiégeants, qu'ils soient français ou britanniques, d'investir complètement le fort ou la ville au début du siège, du fait de la faiblesse des effectifs engagés (quelques milliers d'hommes au mieux, quand les armées de siège en Europe s'élèvent à plusieurs dizaines de milliers de combattants). Lors du siège de William-Henry en août 1757, Louis-Antoine de Bougainville notait "qu'il était de toute impossibilité d'investir entièrement la place". Si les théoriciens militaires en Europe notaient le danger de ne pas investir la place assiégée, et donc de permettre à sa garnison de recevoir des secours permettant d'étirer le siège, la distance séparant en Amérique les différents forts et postes rend cette considération nettement moins préoccupante pour les officiers chargés de diriger les sièges.

Voilà pour aujourd'hui, à bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

2 commentaires:

  1. Question: La prise du fort Chambly en 1760 fait-il parti de la définition d'un siège ou peut-être n'est-il pas suffisamment significatif pour en être un?

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    1. Il ne semble pas y avoir eu de réel siège au fort Chambly en 1760, puisque la garnison s'est rendue sans combats, avant que les Britanniques aient véritablement eu le temps d'établir des tranchées de siège et des batteries d'artillerie fonctionnelles.
      L'événement ne rentre donc pas dans la définition du siège telle que je l'ai abordée dans mes recherches.

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