Bonjour!
Aujourd'hui, j'aimerais vous présenter un nouvel aspect de la guerre de siège européenne des 17e et 18e siècles, celui des armées dites "d'observation".
Je vous avais expliqué, en détaillant les douze étapes d'un siège selon le modèle théorisé par Vauban, que le début d'un siège voyait l'armée assiégeante établir une double ligne de fortifications autours de la place, la contrevallation (face à la place), et la circonvallation, tournée vers l'extérieur, pour se protéger de l'arrivée d'éventuels secours ennemis. Vauban proposait de remplacer la circonvallation, si les effectifs le permettaient, par une deuxième armée, appelée "armée d'observation". Cette armée "d'observation" avait pour mission d'accompagner l'armée chargée du siège, sans participer à celui-ci, mais au contraire de rester en retrait, afin de pouvoir intercepter les armées de secours lancées par l'ennemi pour délivrer la place assiégée, comme l'explique Guillaume Le Blond dans son Traité de l'attaque des Places de 1743:
"Il faut convenir que le moyen le plus assuré pour achever un Siège tranquillement, c'est d'avoir une bonne Armée d'observation postée assez avantageusement, pour que l'Ennemi ne puisse la forcer de combattre sans s'exposer à un péril évident, & de manière qu'elle couvre le Siège, & que même elle en puisse tirer du secours des Troupes qui y sont employées, si l'Ennemi prenoit le parti de vouloir la combattre".
La très lourde logistique que nécessitait l'entretien de deux armées pour un même siège explique que dans les faits, l'usage de ces armées "d'observation" restait assez rare et limité lors des dernières guerres de Louis XIV. Tout en redonnant ses lettres de noblesse à la pratique de l'attaque "par escalade", la guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) donne à voir plusieurs occasions d'utilisation de ces armées "d'observation". La France de Louis XV dispose d'une économie prospère et d'effectifs militaires nettement supérieurs à ceux de ses adversaires (seule l'Autriche peut rivaliser avec l'écrasant poids démographique de la France). La campagne française dans les Flandres (actuelle Belgique) de 1744 intègre l'utilisation d'une armée "d'observation", confiée au maréchal de Saxe. Seulement, dépassant le cadre tactique ponctuel d'un seul siège, son usage s'intègre au cadre stratégique global de la campagne dans son ensemble. En 40 jours seulement entre mai et juillet, l'armée principale, commandée par Louis XV et le maréchal de Noailles, assiège victorieusement plusieurs places (Menin, Ypres, Furnes et le fort de la Knocke). Cette accélération de la guerre de siège a été rendue possible entre autres grâce à la présence de l'armée d'observation de Maurice de Saxe. Celui-ci, par ses mouvements, a interdit aux armées de secours autrichiennes de s'approcher des places assiégées, remplissant parfaitement sa mission de protection de l'armée principale.
Prise de Menin, 4 juin 1744, Pierre-Nicolas Lenfant,
Collections du Château de Versailles
L'effort financier considérable consenti par Louis XV pour maintenir actives deux armées pour sa campagne des Flandres ne sera cependant pas réitéré lors de la campagne de 1745. Maurice de Saxe, alors commandant principal sur ce front, s'appuie sur une "variante" du modèle de l'armée "d'observation", utilisée à plusieurs reprises lors des guerres de la Ligue d'Augsbourg (1689-1697) et de Succession d'Espagne (1701-1714). Ne pouvant compter pour le siège de Tournai que sur sa seule armée, et apprenant l'arrivée imminente d'une armée de secours, il décide de scinder son armée en deux, laissant un corps de 20 000 hommes continuer le siège de la ville, tandis qu'il se porte avec un peu plus de 40 000 hommes à la rencontre des secours ennemis. Ayant battu ceux-ci à Fontenoy le 11 mai, il peut tranquillement revenir compléter le siège de Tournai, qui capitule le 20 juin, après 41 jours de siège.
Siège de Tournai, 14 mai 1745, Pierre-Nicolas Lenfant,
Collections du Château de Versailles
L'utilisation d'armées "d'observation" se retrouve lors des sièges menés en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans.
À la mi-juillet 1756, en prévision du siège des forts de Choueguen sur la rive sud du lac Ontario (actuelle Oswego, État de New York), le marquis de Montcalm envoie le frère du gouverneur Vaudreuil rassembler une véritable armée d'observation:
"Le 15 du même mois (juillet), Mr Rigaud de Vaudreuil, gouverneur des Trois-Rivières, partit de Montréal pour se rendre à la Baye de Niaoueuré (aujourd'hui Sackets Harbor, NY), prendre le commandement des troupes détachées de la Marine, des Canadiens et des Sauvages, en former un corps d'environ 1700 hommes, destinés à favoriser le débarquement des troupes de terre et de l'artillerie, aider aux préparatifs du siège et poser ensuite un camp d'observation entre la chute de la rivière Choueguen et le fort, aux fins d'empêcher les secours d'entrer dans la place, pendant que les troupes de terre en feraient le siège".
On voit bien que la mission de Rigaud "d'empêcher les secours d'entrer dans la place" répond parfaitement à la définition que fait Le Blond d'une armée d'observation. Il s'agit cependant de la seule occurrence d'une utilisation d'une véritable "armée d'observation".
Un an plus tard, lors du siège du fort William-Henry (Lake George, NY), l'action du chevalier de Lévis, second de Montcalm, s'apparente plus à celle de Maurice de Saxe à Tournai en 1745:
"M. le chevalier de Lévis étant posté avec son détachement sur le chemin du fort Lydius (fort Edward, situé 25 km de William-Henry et dont la garnison pouvait venir secourir le fort assiégé), il en plaça une partir pour s'opposer au secours qui pouvait venir par ce chemin, et l'autre partie fut placée pour masquer et observer les mouvements que les ennemis faisaient au fort et au retranchement".
Un cas similaire survient lors du siège par les Britanniques du fort Niagara en juillet 1759. Alors que la garnison française résiste depuis trois semaines, une armée de secours arrive en vue du fort. Bien que n'ayant pas véritablement "prévu" de corps d'appoint ou d'observation, les officiers britanniques peuvent se permettre, du fait de leur forte supériorité numérique, de laisser une partie des troupes devant le fort, et de tendre une embuscade aux secours avec le reste de l'armée. La manoeuvre réussit complètement, l'armée de secours étant anéantie le 24 juillet à la bataille de la Belle-Famille (à quelques kilomètres seulement du fort), la garnison française de Niagara déposant les armes le lendemain.
Voilà qui clôt cet article pour aujourd'hui. À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin
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