jeudi 9 janvier 2020

Bougainville et la "don Quichotterie" du marquis de Vaudreuil

Bonsoir!

Pour vous souhaiter une bonne année 2020, je vous reviens avec une petite drôlerie issue des écrits de Bougainville.

Je vous avais présenté précédemment les opinions assez péjoratives de Bougainville sur Monsieur de Rigaud, frère du gouverneur général de la Nouvelle-France, le marquis de Vaudreuil (voir mon article ici).

Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, marquis de Vaudreuil (1698-1778),
Portrait attribué à Donat Nonotte, vers 1753-1755, Bibliothèque et Archives Canada

Le jeune et bouillant officier français ne s'est pas privé pour mettre également par écrit quelques remarques cinglantes envers le gouverneur de la colonie. Un exemple est donné lors de la campagne de l'été 1758.

Au début de l'année 1758, le marquis de Vaudreuil compte planifier une campagne similaire à celle de l'année précédente. En 1757, il avait en effet profité de l'expédition britannique contre la forteresse de Louisbourg (sur l'actuelle Île du Cap-Breton, Nouvelle-Écosse), qui avait mobilisé la majeure partie de leurs troupes disponibles en Amérique du Nord (et qui s'était soldée par un échec), pour envoyer le marquis de Montcalm assiéger victorieusement le fort William Henry, sur la rive sud du lac Saint-Sacrement (actuelle ville de Lake George, dans l'État de New York. Voir mes articles sur la préparation logistique de ce siège, et sa représentation dans le film Le Dernier des Mohicans).

Pour Vaudreuil, le doute n'est pas possible: les Britanniques consacreront tous leurs efforts à la conquête de Louisbourg, ce qui lui laissera le champ libre sur les autres fronts. Dès le mois de mars, les Français sont au courant des préparatifs britanniques pour assiéger Louisbourg, ce qui conforte Vaudreuil dans son idée. Il prévoit alors une expédition, menée par le chevalier de Lévis, sur la ville de Corlar (Schenectady, État de New York). Cette diversion occupera les forces britanniques dans la région des lacs Champlain et Saint-Sacrement, et permettra à Montcalm, à la tête de l'armée rassemblée au fort Carillon (Ticonderoga, État de New York), d'aller assiéger le fort Edward, situé à 25km de l'ancien fort William Henry, et d'ainsi s'assurer d'une maîtrise totale sur la région.

Les instructions qu'il remet à Montcalm le 23 juin, en plus de détailler le plan de la diversion sur Corlar/Schenectady, montrent la confiance dans laquelle il baigne:
"Supposé que les ennemis, comme il y a lieu de le craindre par les dépositions des derniers prisonniers, ne viennent au lac Saint-Sacrement, où était situé le fort Georges (nom donné par les Français au fort William Henry), cette démarche de la part des ennemis peut avoir deux objets. Le premier, s'ils peuvent en avoir les moyens, ce qui n'est pourtant pas vraisemblable, s'il est vrai qu'ils entreprennent l'expédition de Louisbourg, est de venir attaquer Carillon. Le second peut être la démonstration d'une défensive audacieuse, ce qui paroît plus croyable".
À l'entrée du 30 juin 1758 de son journal de campagne, Bougainville commente la stratégie de Vaudreuil en ces termes: "Persistera-t-il dans son aveugle sécurité pour cette frontière? S'opiniâtrera-t-il à sa don Quichotterie de Corlar?" Le ton de Bougainville est particulièrement cinglant en cela qu'il renvoie au célèbre personnage de la littérature espagnole Don Quichotte, connu pour ses projets chimériques et invraisemblables...

Étant un proche du marquis de Montcalm, commandant des troupes françaises qui a connu une relation pour le moins houleuse avec Vaudreuil, Bougainville a pris fait et cause pour l'officier français, ce qui explique en partie le ton qu'il utilise en évoquant les Canadiens, et ici Vaudreuil.

Pourtant, toutes ses remarques ne sont pas à lire sous ce seul prisme. La pique de Bougainville quant à la "don Quichotterie" de Vaudreuil, si elle traduit le ton sarcastique auquel l'officier habitue ses lecteurs, met tout de même en lumière l'erreur de Vaudreuil dans son appréhension et sa planification de la campagne à venir. En étant persuadé que l'opération contre Louisbourg contraindra les Britanniques à l'inaction dans les autres parties, Vaudreuil se trompe lourdement. Le déséquilibre numérique des forces en Amérique, présent dès 1755 en faveur des Britanniques, s'est fortement amplifié en 1758. Au début de la campagne de 1758, ceux-ci sont en effet capables de mobiliser près de 50 000 hommes de troupes. Dans les derniers jours de juin, Montcalm et Bougainville, alors au fort Carillon, sont au courant que près de 20 000 ennemis sont postés autour du fort Edward. C'est ce qui explique l'emportement de Bougainville concernant Vaudreuil et l'aveuglement de ce dernier quant aux forces en présence en Amérique. Le détachement mené par Lévis sur Corlar (1600 hommes, dont 400 soldats d'élite des troupes de Terre) serait ainsi d'une utilité infiniment supérieure à Carillon...

L'erreur de jugement de Vaudreuil n'aura cependant pas de conséquence sur la suite immédiate de la campagne, Montcalm brisant l'offensive britannique sur le lac Champlain en remportant une éclatante victoire devant le fort Carillon le 8 juillet 1758.

Voilà qui clôt cet article pour ce soir.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin


Sources:

- Mémoire pour servir d'instruction à M. le marquis de Montcalm, donné par M. le marquis de Vaudreuil pour la campagne 1758, dans Henri-Raymond Casgrain, Lettres et pièces militaires. Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense 1756-1760, Québec, Imprimerie L.-J Demers & Frère, 1891, p. 25-26. Casgrain date le mémoire du 23 janvier 1758, mais il date bien du 23 juin.

- Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada. Mémoires, journal, lettres, Québec, Septentrion, 2003.

2 commentaires:

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