mercredi 18 septembre 2019

Il y a 260 ans, Québec capitulait...

Bonjour!

Aujourd'hui, j'aimerais souligner l'anniversaire d'un événement crucial dans le déroulement de la guerre de Sept Ans en Amérique, et très important sur bien des points dans mes recherches: la reddition de Québec, il y a tout juste 260 ans, le 18 septembre 1759.

J'avais souligné dans un article précédent sur le(s) "siège(s)" de Québec que la bataille des plaines d'Abraham du 13 septembre est bien souvent associée à la perte de la capitale de la Nouvelle-France aux mains des Britanniques, oubliant trop vite que cinq jours séparent la bataille de la capitulation de la ville. Je souhaite donc dans cet article revenir sur ces cinq jours ayant mené à la chute de la ville, et sur la reddition en elle-même. Au passage, il y a deux ans, en septembre 2017, j'avais eu l'immense plaisir de participer avec un groupe d'amis historiens à une visite des "coulisses" du pôle de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, et au cours de la visite, nous avons pu admirer de près le document original de l'acte de capitulation de Québec. Je vous en partagerais donc quelques photos pour accompagner mon propos (ci-dessous, l'en-tête de l'acte de capitulation, présentant à droite les articles demandés par Ramezay, commandant de la garnison, et à gauche les corrections et commentaires apportés par les Britanniques).



Au soir du 13 septembre, le moral de l'armée française est au plus bas. La défaite a vite pris des allures de déroute, amplifiée par la perte de plusieurs officiers parmi les plus haut gradés (Montcalm, commandant des troupes de terre, le brigadier Sénezergues et Fontbonne, lieutenant-colonel du régiment de Guyenne). Un conseil de guerre tenu par le gouverneur de la Nouvelle-France, le marquis de Vaudreuil, et les officiers restants, a pour résultat la retraite de l'armée jusqu'à la rivière Jacques-Cartier, à 40 km à l'ouest de Québec, dont la garnison (au plus un millier d'hommes, tout aussi démoralisés) est livrée à elle-même face à des Britanniques débutant leurs travaux de siège...

En plus du départ de l'armée, Ramezay, en charge de la défense de Québec, déplore l'absence d'ingénieur dans la ville, dont l'expertise en matière de siège pourrait permettre d'envisager une résistance plus efficace: "Il ne resta aucun ingénieur dans la place; j'en demandai après la déroute du 13 septembre, on ne m'en envoya point. Cela, seul, ne devrait-il pas me mettre à l'abry de tous reproches? Peut-on sans ingénieur soutenir un siège?" Malgré l'absence d'ingénieur, la garnison ne se laisse pas abattre, et entre les 14 et 17 septembre, l'artilleur Louis-Thomas Jacau de Fiedmont dirige avec énergie les tirs défensifs de l'artillerie de la ville.

Le 15 septembre, une délégation de notables de la ville se présente devant Ramezay, l'implorant de capituler au vu de la situation dramatique. En conséquence, le commandant de la garnison réunit un conseil de guerre pour demander leur avis aux officiers sous ses ordres. Des quinze officiers présents (comptant Ramezay), un seul, Jacau de Fiedmont, refuse d'envisager la capitulation, préconisant au contraire "de réduire encore la ration, et pousser la deffence de la place jusqu'à la dernière extrémité".





Malgré l'avis quasi unanime prônant la capitulation, Ramezay, espérant un éventuel retour de l'armée pour le secourir, continue de résister jusqu'au soir du 17 où, à bout de vivres et sous la menace de troupes britanniques se préparant à l'assaut, il envoie le chevalier de Joannès négocier auprès des assiégeants les termes de la capitulation. Respectant les consignes de Vaudreuil (qui lui avait transmis au soir du 13 septembre les conditions à demander pour une reddition), Ramezay demande les honneurs de la guerre pour les troupes, et la possibilité pour elles de rejoindre l'armée à l'ouest:
"Article premier. Monsieur de Ramezay demande les honneurs de la guerre pour sa garnison, & qu'elle soit ramenée à l'armée en sûreté par le chemin le plus court, avec armes, bagages, six pièces de canon de fonte, deux mortiers ou aubusiers & douze coups à tirer par pièce".


George Townshend, commandant l'armée assiégeante après la mort de Wolfe à la bataille du 13 (Monckton, le second de Wolfe, étant lui grièvement blessé), accepte les honneurs de la guerre pour la garnison (en revoyant à la baisse les demandes de Ramezay), mais celle-ci, au lieu de pouvoir rejoindre l'armée (et donc continuer le combat), est renvoyée en France:
"La garnison de la ville composée des troupes de terre, des marines, & matelots sortiront de la ville avec armes & bagages, tambour battant, mèche allumée, avec deux pièces de canon de France et douze coups à tirer pour chaque pièce, et sera embarquée le plus commodément qu'il sera possible pour être mise en France au premier port".
Je ne donnerais pas ici le détail de tous les articles (demandés ou corrigés) de la capitulation. Je m'attarderais seulement sur le onzième et dernier article (que les Britanniques acceptent sans modifications), que voici:
"Article 11. Que la présente capitulation sera exécutée suivant sa forme & teneur sans qu'elle puisse être sujette à inexécution sous prétexte de représailles ou d'une inexécution de quelque capitulation précédente".


Ce dernier article soulève un point très lourd de sens. Par l'évocation de "représailles" ou d'une "inexécution de quelque capitulation précédente", l'article renvoie directement au précédent tragique de la reddition du fort William-Henry en 1757, qui par le massacre d'une partie de la garnison qui a suivi, a marqué un tournant dans la conduite de la guerre et dans la "sévérité" des Britanniques à l'égard des combattants de l'armée française.

Devant la "générosité" des termes accordés par les Britanniques à travers ces articles (ainsi que d'autres favorables à la population de la ville), Ramezay signe l'acte de capitulation (Townshend et l'amiral Charles Saunders le signent pour les Britanniques) le 18 septembre au matin, officialisant ainsi la reddition de Québec.





















Très vite, Ramezay va être sévèrement critiqué pour cette reddition rapide. Dans une lettre adressée au ministre de la Marine le 21 septembre, Vaudreuil lui impute la responsabilité directe de la perte de la ville:
"M. de Ramezay, qui commandait à Québec, rendit la place le 18 de ce mois. [...] Je m'attendais à une plus longue résistance ayant pris les mesures les plus justes pour faire entrer dans cette ville des vivres et des forces. M. de Ramezay en était instruit".
En effet, le 17 septembre, le chevalier de Lévis, qui était à Montréal lors de la bataille du 13, arrive à la rivière Jacques-Cartier pour succéder à Montcalm à la tête de l'armée. Il prend la décision, après conseil avec Vaudreuil, de marcher sur Québec pour secourir la ville, dans l'espérance que la garnison tienne encore quelques jours. Ils envoient plusieurs messagers informer Ramezay de leur arrivée prochaine, l'enjoignant à tenir fermement. Ils joignent à leur message un premier envoi de vivres (quelques sacs de biscuits, censés assurer une maigre ration jusqu'à l'arrivée de l'armée). Malgré cela, Ramezay, constatant l'insuffisance des vivres présents dans la place, et devant composer avec la lassitude de la population et de la garnison, prend la décision de capituler dans la soirée du 17 septembre.

Parmi les arguments qu'il avance pour se justifier, Ramezay insiste sur l'ordre qu'il avait reçu de Vaudreuil au soir du 13 septembre (en même temps que le protocole de capitulation):
"Nous prévenons M. de Ramezay qu'il ne doit pas attendre que l'ennemi l'emporte d'assaut; ainsi, sitôt qu'il manquera de vivres, il arborera le drapeau blanc, et enverra l'officier de sa garnison le plus capable et le plus intelligent, pour proposer la capitulation".
Je ne rentrerais pas ici dans le détail des arguments mis en place par Ramezay pour justifier de sa conduite, l'ayant déjà fait dans un article publié en 2017, que je vous invite à consulter (cliquez sur le titre qui vous mènera au lien vers l'article):



Cet article de 2017 mériterait que je me penche à nouveau sur ces questions à l'avenir (j'ai quelques mises à jour dans ma réflexion à y apporter, ainsi que quelques éléments factuels dont j'ai pris connaissance, comme le fait que le mémoire justificatif de Ramezay a pu être publié de son vivant, à un très faible tirage). Toujours est-il que les torts dans cette reddition "hâtive" sont partagés, la principale erreur revenant selon moi au gouverneur Vaudreuil et aux officiers de l'armée, qui au soir du 13 septembre ont abandonné la ville à elle-même, avant de faire volte-face, mais trop tardivement. En plus d'un symbole fort (la capitale de la Nouvelle-France), la reddition de Québec livre aux Britanniques une importante quantité de pièces d'artillerie, qui feront cruellement défaut aux Français lors de leur tentative de reprendre Québec quelques mois plus tard...

Voilà qui clôt cet article "anniversaire". N'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources: Les sources sur ces cinq journées ayant mené à la chute de Québec ne manquent pas. Voici quelques titres d'ouvrages et d'articles qui permettent d'avoir un bon aperçu de la situation.
- Dave Noël, Montcalm, général américain, Québec, Boréal, 2018.
- D. Peter MacLeod, La vérité sur la bataille des plaines d'Abraham, Québec, Éditions de l'Homme, 2008.
- C. P. Stacey, Québec 1759, le siège et la bataille, Québec, Presses de l'Université Laval, 2008 (traduction française de son ouvrage paru en anglais en 1959).
- Michel Thévenin, ""Nous étions réduits à la dernière extrémité": la reddition de Québec de 1759 vue par son signataire", dans Actes du 16e colloque international étudiant du département des sciences historiques de l'Université Laval, Québec, 2017.

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