vendredi 26 juillet 2019

La reddition du fort Niagara (1759)

Bonjour!

Je vous partage aujourd'hui un article qui me permet de répondre à une demande de la part de plusieurs d'entre vous, tout en soulignant l'anniversaire d'un événement concernant directement mes recherches sur la guerre de siège: la reddition du fort Niagara, il y a 260 ans jour pour jour, le 26 juillet 1759.

Cette place forte, "la meilleure sans contredit de tout le Canada", selon Bougainville, fut le théâtre d'un des sièges les plus importants de la guerre de Sept Ans en Amérique. À partir de 1755 (donc dès le début ou presque des hostilités en Amérique), Pierre Pouchot, officier des troupes de terre possédant de très solides connaissances en matière de Génie militaire et de fortification, a considérablement augmenté les défenses de ce qui n'était alors qu'un petit fort français parmi d'autres. Ses travaux entre 1755 et 1759 ont donné à Niagara l'allure d'une véritable forteresse européenne, capable de soutenir un siège, ou pour reprendre les mots de l'historien René Chartrand, "Vauban in the wilderness".








Plan du fort Niagara attribué à Pierre Pouchot, intégré à la première édition de ses Mémoires (1781) 


Je ne vais pas rentrer dans les détails du récit du siège de 1759 (il me faudrait un espace bien plus conséquent que cet article), je vais donc le résumer brièvement, pour m'attarder sur d'autres points concernant ce siège. À l'été 1759, la dernière défense française sur le lac Ontario est le fort Niagara, défendu par Pierre Pouchot. Celui-ci dispose d'une garnison d'environ 500 hommes. Le 6 juillet au soir, une armée britannique de plus de 3000 hommes, commandée par John Prideaux, débarque près du fort. Dans l'après-midi du 8 juillet, un officier britannique est envoyé auprès de Pouchot, afin de le sommer de se rendre sans combattre. Devant le refus énergique de celui-ci, les travaux du siège commencent, respectant le modèle établi par Vauban: ouverture de la tranchée dans la nuit du 9 au 10 juillet, début du bombardement par l'artillerie le 13, ... Ce n'est que le 25 juillet, après une défense acharnée et 17 jours de tranchée ouverte (soit la durée "active" du siège), que Pouchot capitule.



Plan britannique du siège de 1759

À l'exception des trois sièges de villes (Louisbourg 1758, Québec 1759 et 1760), le siège de Niagara est le plus long des sièges européens en Amérique pendant la guerre de Sept Ans. Bougainville écrivait à propos de Niagara:
"Cette place, sans contredit la meilleure de tout le Canada, peut avec 500 hommes de garnison, des munitions de guerre et de bouche suffisantes, un commandant ferme, intelligent et du métier, faire une bonne défense".
Pouchot a parfaitement répondu à l'appel de Bougainville, en résistant près de trois semaines à une force plus de six fois supérieure en nombre à la sienne. Ce que Bougainville entendait par "une bonne défense" n'était pas de résister indéfiniment à un siège, le modèle établi par Vauban ne laissant quasiment aucune chance aux assiégés. La "bonne défense" était plutôt celle suffisamment efficace et surtout longue pour permettre à des secours d'arriver sur les arrières de l'assiégeant, forçant celui-ci à lever le siège en cas de défaite (j'ai abordé ce point, ou plus exactement la parade mise en place pour contrer des secours, dans un article dédié aux armées dites "d'observation").

En Nouvelle-France, la trop faible taille des effectifs français, combinée à la distance séparant les forts, rend quasi impossible l'envoi d'armées de secours, laissant la plupart des garnisons assiégées livrées à elles-mêmes, et condamnées à la reddition. Le siège de Niagara est l'un des seuls cas présentant l'envoi de secours pour libérer le fort français assiégé. En effet, à la fin du mois de juin, Pouchot avait, sur ordre du gouverneur Vaudreuil, envoyé un détachement de plusieurs centaines d'hommes dans la vallée de l'Ohio, dans le but de reprendre le fort Duquesne (Pittsburgh), tombé l'année précédente. Au début du siège de Niagara, il dépêche des courriers à la recherche de cette troupe, l'enjoignant de venir à son secours. Une armée de secours de 600 hommes commandés par le Canadien François-Marie Le Marchand de Lignery se rue alors vers Niagara, pour contraindre les Britanniques à lever le siège.

Malheureusement pour Pouchot, le 24 juillet, les secours de de Lignery sont écrasés au lieu-dit de la Belle-Famille, à seulement deux kilomètres du fort. Le combat du 24 juillet est un véritable massacre, l'un des plus sanglants du conflit en Amérique, comme l'a souligné mon ami Joseph Gagné dans un article sur son blogue.
Exténués et moralement brisés par la déroute des secours, les officiers de la garnison supplient Pouchot de capituler, ce qu'il fait dans la journée du 25.


Le moment de la reddition d'un fort est caractéristique de la culture militaire européenne du 18e siècle. Les rituels de courtoisie et de respect trouvent pleinement leur place dans ce qu'on appelle la "reddition honorable", ce qui fait la fait rentrer dans l'image péjorative de la "guerre en dentelles".

Dans le cas d'une reddition honorable, un assiégeant reconnaît la valeur de l'assiégé en lui accordant les "honneurs de la guerre" en marque de respect. Une garnison recevant les honneurs de la guerre peut alors sortir de la place assiégée en armes, tambours battant et drapeaux déployés, dans une sorte de parade et de démonstration de force militaire (ce qui est assez paradoxal avec la défaite qu'elle vient de subir, mais qui répond parfaitement à ce respect mutuel entre belligérants). Parfois, les vaincus peuvent même emporter avec eux une ou plusieurs pièces d'artillerie. Souvent, une garnison recevant les honneurs de la guerre peut partir librement rejoindre une place alliée, mais vers le milieu du 18e siècle, une garnison peut être faite prisonnière, quand bien même les honneurs de la guerre lui sont accordés. C'est ce qui arrive à la garnison du fort Niagara, comme le montre le premier article de la capitulation signée au soir du 25 juillet 1759 par Pierre Pouchot et William Johnson (qui a succédé à John Prideaux, tué lors du siège, le 20 juillet):
"La garnison sortira avec armes et bagages, tambours battants, mèche allumée par les deux bouts, avec une petite pièce de canon, pour s'aller embarquer sur des bateaux ou autres bâtiments ou voitures qui seront fournis par M. le général de Sa Majesté Britannique, pour être conduite à la Nouvelle-Yorck, par le chemin le plus court, et dans le plus court espace de temps".
Le rituel de la reddition a lieu le lendemain, dans l'après-midi du 26 juillet. La garnison vaincue défile fièrement devant les troupes de Johnson, avant de déposer les armes (les officiers pouvant garder leur épée, symbole de leur noblesse) et d'embarquer à destination de New-York. Petit détail, alors que la capitulation accordait aux Français de défiler avec une pièce de canon, lors de la reddition, ce sont deux canons qui précèdent la colonne. S'agit-il d'une marque supplémentaire de respect accordée par Johnson? D'un geste de défi de Pouchot? Hélas, aucun élément dans les sources ne me permet de trancher en faveur de l'une ou l'autre de ces hypothèses.

Voilà pour cette reddition de Niagara, il y a 260 ans aujourd'hui. L'article étant dense, n'hésitez pas à me poser vos questions!
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Sources: Pierre Pouchot, Mémoires sur la dernière guerre de l'Amérique septentrionale entre la France et l'Angleterre, 1781 (le siège de Niagara est dans le tome 2) ; Michel Thévenin, "Une guerre "sur le pied européen"? La guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans", mémoire de maîtrise, Université Laval, 2018

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