mardi 17 décembre 2019

La violence du siège de Berg-op-Zoom (1747) dans les arts

Bonjour!

J'aimerais aujourd'hui vous parler d'un siège marquant du 18e siècle, qui par son dénouement violent a frappé les esprits: le siège de la ville hollandaise de Berg-op-Zoom (Bergen-op-Zoom en néerlandais) par les Français en 1747.

Siège de Berg-op-Zoom, Louis-Nicolas Van Blarenberghe, 1786, Collections du Château de Versailles






À l'été 1747, les armées de Louis XV poursuivent leurs campagnes victorieuses dans les Flandres. Deux ans après la glorieuse victoire de Fontenoy, le maréchal Maurice de Saxe remporte un nouveau combat le 2 juillet à Lauffelt (parfois orthographié Lawfeld, Laffelt), à proximité de la ville hollandaise de Maastricht. La victoire française n'est cependant pas suffisamment importante pour permettre à Maurice de Saxe d'assiéger Maastricht, son objectif initial. Pour ne pas terminer sa campagne trop prématurément, le maréchal envoie le comte de Lowendal (officier danois au service de Louis XV et proche ami de Maurice de Saxe) assiéger la ville de Berg-op-Zoom. L'opération n'a aucun véritable intérêt stratégique, et relève plus du symbole; Berg-op-Zoom a en effet la réputation d'être une forteresse imprenable, puisqu'elle a déjà résisté victorieusement à plusieurs sièges aux 16e et 17e siècles, fait suffisamment rare au 18e siècle pour être noté. De plus, elle a été puissamment fortifiée à la fin du 17e siècle par Menno Van Coehoorn, le rival hollandais de Vauban.

Toujours est-il que Lowendal met le siège devant Berg-op-Zoom, défendue par 16 000 hommes, le 12 juillet, et la tranchée est ouverte dans la nuit du 14 au 15 juillet. Le siège respecte dans son déroulement le modèle théorisé plusieurs décennies plus tôt par Vauban (voir ici), mais les Français se heurtent à une résistance coriace de la garnison hollandaise. Deux mois après l'ouverture de la tranchée, les assiégeants ne sont toujours pas en mesure de faire plier les défenseurs, malgré la présence de plusieurs brèches dans les ouvrages avancés de la place (deux mois, c'est particulièrement long pour l'époque, voir ici mon article sur la durée "normale" d'un siège).

Beschieting van Bergen op Zoom / Attaques de Berg-op-Zoom, anonyme, 1747, Rijksmuseum (Amsterdam)



Le 16 septembre au matin, Lowendal joue son va-tout et lance un assaut massif d'infanterie sur les brèches des fortifications. L'élan des assiégeants est décisif, et les troupes françaises entrent dans la ville, où la garnison, bousculée, se défend pied à pied en se barricadant dans les maisons. C'est là que les Français, enragés par deux mois d'un siège long et coûteux, déchaînent leur fureur. Une partie de la garnison est massacrée, et la ville est mise à sac.

Le déchaînement des Français à cette occasion, et le pillage de la ville, choquent profondément l'Europe. De telles pratiques étaient devenues suffisamment rares pour être scandaleuses, surtout au sein de l'armée de Sa Majesté Très Chrétienne... Bien que plusieurs officiers français aient tenté de maîtriser l'indiscipline de leurs troupes, beaucoup d'autres ont allègrement participé au pillage, s'assurant de juteuses rapines...

La légende veut que devant le scandale, Maurice de Saxe aurait alors affirmé à Louis XV: "Sire, il n'y a pas de milieu: il faut faire pendre Lowendal, ou le faire maréchal de France". Quoique sans doute très romancé, l'épisode se termine tout de même par la promotion de Lowendal, qui obtient le bâton de maréchal le 23 septembre.

Les journaux de plusieurs acteurs du siège présentent des chiffres particulièrement impressionnants, faisant état notamment de 10 000 tués et blessés parmi les assiégeants lors des deux longs mois du siège (certains auteurs poussent même les pertes françaises jusqu'à 20 000 hommes). L'assaut décisif du 16 septembre fut extrêmement sanglant: près de 150 officiers et soldats tués et 300 blessés côté français, contre plus de 2 000 tués, 1 000 blessés et 1 700 prisonniers côté hollandais.

En plus de sa durée et de sa violence, le siège de Berg-op-Zoom a aussi la particularité d'avoir accordé un rôle important aux mines et aux contre-mines, qui étaient tombées en désuétude au 18e siècle (voir ici l'article que j'ai consacré au sujet des mines). Un journal du siège mentionne ainsi qu' "on a supputé les mines qu'ont fait joüer les deux partis, à la totalité de 80". Ce même journal mentionne, parmi les victimes du siège côté français, la mort, le 16 août, du commandant du corps des mineurs, le sieur de Lorme. Celui-ci était âgé de 72 ans, et avait surtout participé au cours de sa carrière à pas moins de 37 sièges! Il avait ainsi acquis le surnom cocasse de "Premier mineur de l'Europe"...

À en croire ce journal, et un plan français de l'assaut du 16 septembre, qui montrent l'usage intensif de mines des deux côtés et les multiples explosions engendrées par celles-ci, le délabrement des fortifications et du terrain devait produire un effet saisissant...

Plan de l'attaque de Berg-op-Zoom par M. de Lowendal en 1747, par H. M. Chevalier, 1747
(disponible sur Gallica)



Pour terminer cet article, je souhaite vous présenter quelques sources iconographiques du 18e siècle, représentant toute la violence et la fureur du siège et/ou de l'assaut français.

Vue de la ville et des forts de Berg-op-Zoom assiegée par l'armée françoise
sous les ordres de Mgr. le Mal. de Lowendahl le 14 juillet 1747.et prise par assaut le 16 septembre
,
Martin Marvie, 1747-1750, Rijksmuseum

Het beleg van Bergen op Zoom door de Franschen,
gravure hollandaise de Gerard Sibelius, 1750-1752, Rijksmuseum

Une autre gravure hollandaise que je trouve particulièrement saisissante par sa représentation de la violence du siège (ici le bombardement):

Afbeelding van de bombaardeering der stad Bergen op den Zoom, door de Franschen,
op den 1e. Augustus des jaar 1747
,
Simon Fokke, 1772, Rijksmuseum

Le bombardement détruit une partie importante de la ville. À plusieurs égards, le siège de Berg-op-Zoom est comparable avec la situation de Québec à l'été 1759. En effet, les deux villes sont bombardées pendant deux mois, et les deux villes connaissent des destructions extrêmes. Ci-dessous, une gravure hollandaise montrant l'état d'une église de Berg-op-Zoom après le siège, qui n'a rien à envier aux gravures présentant Québec en 1759:

Ruïne van de Groote Kerk te Bergen op den Zoom, van binnen, ziende van het choor naar den tooren,
gravure de Simon Fokke, 1772-1780, Rijksmuseum

Et pour terminer, un tableau légèrement postérieur à l'événement (1786), mais que je trouve très représentatif de la fureur de l'assaut français du 16 septembre. Comme pour le bas-relief représentant le siège de Minorque de 1756 (voir mon article ici), les détails sont impressionnants.

Prise d'assaut de Berg-op-Zoom, Louis-Nicolas Van Blarenberghe,
1786, Collections du Château de Versailles

Pour l'anecdote, on peut noter que le siège de Berg-op-Zoom apparaît dans la série de jeux vidéos Assassin's Creed. Dans le troisième opus (celui se déroulant lors de la guerre d'Indépendance américaine, et lors de la guerre de Sept Ans pour ses débuts), deux personnages, Haytham Kenway et Edward Braddock (le général britannique vaincu à la Monogahéla en 1755) partagent leurs souvenirs concernant leur participation à ce terrible siège...

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin


Petite mise à jour du 3 décembre 2021:
J'ai écrit le script d'une vidéo sur le siège de Berg-op-Zoom pour la chaîne Youtube Nota Bonus (chaîne secondaire du vulgarisateur historique Nota Bene). La vidéo d'environ 7 minutes est disponible ici!

Sources:

- Histoire abrégée de la ville de Bergen-op-Zoom, depuis son origine jusqu'à ce jour: avec une idée du fameux siège de 1747 et de ses suites funestes, ainsi que du rétablissement de la ville, ouvrage posthume de M. Jean Faure, À La Haye chez Pierre Van Os, 1761.
- Jean-Baptiste d'Espagnac, Journal des campagnes du Roi en 1744, 1745, 1746 & 1747, Liège, 1748.
- Journal du siège de Bergopzoom en 1747, rédigé par un lieutenant-colonel ingénieur volontaire de l'armée des assiégeans, À Amsterdam et à Leipzig, chez Arkstée et Merkus, 1750.
-Fadi El Hage, La guerre de Succession d'Autriche (1741-1748). Louis XV et le déclin de la France, Paris, Économica, 2017.
- Jean-Pierre Bois, Maurice de Saxe, Paris, Fayard, 1992.
- Jean-Pierre Bois, « Maurice de Saxe et Ulrich Woldemar de Lowendal, deux maréchaux d’origine étrangère au service de Louis XV », Revue historique des armées, 2009, p. 3-14.


Si vous appréciez mes recherches et le contenu de ce blogue, acheter mon premier livre (qui est maintenant disponible en France!) serait une très belle marque d'encouragement (voir à droite, "Envie d'en savoir plus?"). Si vous ne voulez pas vous procurer le livre, mais que vous souhaitez tout de même m'encourager à poursuivre sur cette voie, vous pouvez faire un don via Paypal (voir à droite l'onglet "Soutenir un jeune historien"). Vous pouvez également partager cet article (ou tout autre de ce blogue), vous abonner au blogue ou à la page Facebook qui y est liée. Toutes ces options sont autant de petits gestes qui me montrent que mes recherches et le partage de celles-ci auprès d'un public large et varié sont appréciés, et qui m'encouragent à poursuivre dans l'étude d'aspects souvent méconnus de l'histoire militaire du XVIIIe siècle.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire