samedi 1 décembre 2018

Candide ou l'interprétation manquée de la guerre selon Voltaire

Imaginez, sur une plaine verdoyante d'Allemagne ou des Flandres, deux lignes d'hommes se faisant face sur plusieurs centaines de mètres. Imaginez des soldats, calmes et impassibles dans leurs uniformes brodés de dentelles, avançant inlassablement sous la canonnade ennemie. Imaginez les fifres et les tambours battant la mesure, imaginez les drapeaux flottant fièrement au vent. Imaginez les officiers rivalisant de mots d'esprit ou invitant poliment leurs adversaires à ouvrir le feu.

Cette petite "envolée lyrique" correspond hélas à l'image la plus courante dans l'imaginaire collectif du 21e siècle lorsqu'il s'agit de décrire la guerre à l'européenne au 18e siècle. Si elle n'est pas complètement fausse, elle est particulièrement réductrice et illustre ce qu'on appelle la "guerre en dentelles".
Voici pour moi l'occasion de vous introduire le deuxième grand thème de ce blogue, à savoir celui de ce mythe de la "guerre en dentelles". Les personnes qui parmi vous me connaissez bien savent à quel point j'ai à coeur de parler de ce sujet, et de déconstruire les représentations erronées que l'on peut voir dans les films historiques à propos de la guerre au 18e siècle.

Ces fausses représentations, et plus généralement le mythe de la "guerre en dentelles" viennent entre autres d'une interprétation biaisée de certaines sources de ce siècle. Par exemple, Voltaire, l'un des plus (le plus?) célèbres penseurs des Lumières, qu'on connait beaucoup pour ses fameux "arpents de neige du Canada", est souvent considéré comme un pacifiste, voire un anti-militariste, qui n'hésite pas à critiquer sans retenue l'absurdité des guerres menées par Louis XV. Je ne m'amuserai pas à faire ici la biographie complète de Voltaire, je préciserai seulement qu'il s'est distingué dans les années 1740 par des récits qui glorifiaient en des termes très militaires et élogieux les guerres du roi de France. En l'occurrence, l'idée d'un Voltaire fermement opposé à la guerre vient du succès de son conte philosophique Candide ou l'optimisme, paru en 1759, soit dans une phase de la guerre de Sept Ans marquée par les désastres français. Son chapitre 3 présente une vision très sarcastique de la guerre, mais dont la lecture a par après servi de base à l'idée de pratiques militaires qui aujourd'hui nous paraissent complètement absurdes.

Alors que je préparais à l'été 2017 une conférence pour les Fêtes de la Nouvelle-France sur ce sujet, je suis tombé sur une vidéo tirée d'une adaptation de Candide par la télévision française en 1962. Cet extrait de moins de 3 minutes met en scène le début du chapitre 3, avec la définition de la guerre que j'ai mentionnée plus haut, et que je souhaitais vous partager.


Personnellement, je trouve que cette vidéo est absolument savoureuse, sur tous les points: gestuelle et voix du narrateur, allusion uniquement sonore à la bataille, mise en scène, le texte en lui-même...

J'espère que vous avez apprécié cette petite "mise en bouche" concernant la guerre en dentelles. Un article complet sur ce mythe que je prends plaisir à confronter suivra sous peu.
Bonne soirée à toutes et à tous!
Michel Thévenin

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