Au cours de mes recherches de maîtrise, avant même de m'intéresser au modèle de la guerre de siège européenne du 18e siècle, j'ai eu la curiosité (bien utile) de vouloir comprendre ce que les contemporains entendaient par "siège". Je me suis donc plongé dans les différents dictionnaires de la fin du 17e et du 18e siècle, et croyez-moi, il y a une belle diversité (et une certaine évolution) dans la définition du siège. C'est ce que je souhaite partager avec vous aujourd'hui car, puisque je vous parlerai fréquemment de cette guerre de siège au 18e siècle, il me semblait judicieux de prendre le temps de vous en donner une définition.
Le grammairien français César-Pierre Richelet écrit par exemple dans son Dictionnaire françois en 1680: "Ce mot se dit en parlant de guerre. C'est le campement d'une armée qui s'est retranchée autour d'une place qu'elle veut emporter". La même concision se retrouve dans le Dictionnaire de l'Académie Française, tant dans sa première édition de 1694 que dans celles de 1718, 1740 ou 1762. Le siège désigne ici "les travaux et les attaques qu'une armée campée devant une place fait pour la prendre".
L'abbé Antoine de Furetière apporte pour sa part une précision de taille dans son Dictionnaire universel, publié à titre posthume en 1690. Sous la plume de l'ecclésiastique, le siège "en termes de guerre, est le campement d'une armée tout autour d'une place qu'elle a envie de prendre, soit par famine, en faisant simplement des lignes pour empêcher que rien n'y entre; soit par vive force, en faisant des tranchées et y donnant des assauts". On voit la volonté de Furetière de clarifier la définition du siège, de dépasser le seul but de celui-ci, à savoir la prise d'une ville, en identifiant plusieurs des moyens mis en oeuvre pour y parvenir.
Un effort semblable est visible dans l'oeuvre majeure des penseurs des Lumières, l'Encyclopédie. Dans l'article "siège", rédigé conjointement par D'Alembert, le chevalier de Jaucourt et Guillaume Le Blond et long de cinq pages, les auteurs prennent le soin, contrairement à la majorité de leurs prédécesseurs, de distinguer les différents types de siège:
"Les sièges peuvent se diviser en plusieurs espèces, suivant la nature des villes qu'on doit attaquer, et la méthode qu'on y emploie. Le premier est le siège royal ou le véritable siège; c'est celui dans lequel on fait tous les travaux nécessaires pour s'emparer de la place, en chassant successivement l'ennemi de toutes les fortifications qui la défendent; cette sorte de siège ne se fait qu'aux villes considérables et importantes, et c'est de ce siège qu'on entend parler ordinairement, lorsqu'on dit qu'une armée fait le siège d'une place. Le siège qui ne demande point tous les travaux du siège royal se nomme simplement attaque; c'est pourquoi, lorsqu'un corps de troupes est envoyé pour s'emparer d'un poste important, comme d'un château ou de quelqu'autre petit lieu occupé par l'ennemi, on ne dit point qu'on va en faire le siège, mais l'attaque."
Siège de Fribourg-en-Brisgau, 11 octobre 1744,
Pierre-Nicolas Lenfant, Collections du Château de Versailles
La plupart des tableaux évoquant un siège aux 17e et 18e siècles mettent en scène
ce que Le Blond appelle siège royal.
Cette définition de l'Encyclopédie est la plus complète qu'il m'ait été donné d'observer dans les différents dictionnaires de cette période, et c'est celle qui a guidé ma réflexion tout au long de mon mémoire.
Ce même article de l'Encyclopédie nous expose également la divergence d'opinions parmi les auteurs du 18e siècle concernant la définition du siège, et surtout l'utilisation parfois erronée de cette appellation au profit d'autres types d'opérations militaires:
"M. de Folard, dans son Traité de l'attaque et de la défense des places des anciens, blâme avec raison ceux qui confondent le siège avec le blocus ou le bombardement. Il attaque à ce sujet un officier d'artillerie, qui dans un mémoire donné à l'Académie des Sciences, sur la méthode de tirer les bombes avec succès, ne met aucune différence entre un siège dans les formes et un bombardement. Voici, dit-il, ce que j'ai pratiqué aux sièges de Nice, Alger, Gênes, Tripoli, Palamos, Barcelone, Alicante, et nombre d'autres places que j'ai bombardées. "Qui ne croirait, en lisant cela, dit M. de Folard, qu'Alger, Gênes et Tripoli, ont soutenu un siège? Et ces sièges sont imaginaires, du moins de son temps. Ces trois villes furent bombardées par mer, et personne ne mit pied à terre; c'est donc improprement qu'on se sert du terme de siège, lorsqu'il s'agit d'un bombardement, confondant ainsi l'un avec l'autre"."
Scène de bombardement,
gravure tirée de Théorie nouvelle sur le mécanisme de l'Artillerie,
par Joseph Dulacq, 1741.
L'un des auteurs de cet article de l'Encyclopédie, Guillaume Le Blond, a également publié en 1743 un Traité de l'attaque des places, dans lequel il consacre une section entière, d'une vingtaine de pages, à la "définition ou explication des termes les plus en usage dans la guerre des sièges". Fait intéressant, on voit dans ce traité de 1743 l'évolution de la terminologie du siège. La définition que faisait Richelet du siège en 1680 n'est plus qu'une sous-catégorie des différentes manières de prendre une place selon Le Blond, qu'il nomme "blocus":
"Faire le Blocus d'une Place, c'est l'entourer de différents corps de troupes qui en ferment les avenues de tous les côtés, et qui ne permettent point de faire entrer ou sortir aucune chose de la Place. L'objet du Blocus, est d'obliger ceux qui sont enfermés dans une Ville de consommer toutes leurs provisions de bouche, et de les obliger à la rendre, n'ayant plus de quoi y subsister. On voit par là qu'un Blocus doit être fort long, lorsqu'une Place est bien munie; aussi ne prend-on guère le parti de réduire une Place par ce moyen qu'on ne soit informé que ses magasins sont dégarnis, ou bien lorsque la nature ou la situation de la Place ne permet pas d'en approcher pour en faire les attaques à l'ordinaire."
Voilà un petit aperçu de la difficulté de définir ce qu'est un siège au 18e siècle en Europe. Personnellement j'ai bien apprécié passer au travers de ce type de sources, regarder le sens des mots que l'on étudie remis dans le contexte de l'époque est je trouve toujours utile.
Michel Thévenin
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