Bonsoir!
MISE À JOUR mars 2023: ma recherche ayant fortement avancé depuis la rédaction de cet article il y a quatre ans, il serait à reprendre en grosse partie, ce que je ferai plus tard. Quelques corrections toutefois: Chaussegros de Léry fils n'est pas ingénieur. Il a servi comme sous-ingénieur sous les ordres de son père, mais il n'a jamais eu le brevet d'ingénieur militaire, puisqu'il a démissionné de son poste en 1749, avouant lui-même ne pas être fait pour ce métier. Il ne fait donc pas partie de la liste restreinte des "ingénieurs" canadiens. Toutefois, au moins un autre nom est à rajouter, à savoir celui d'Étienne Rocbert de La Morandière (frère de la célèbre épistolière Élizabeth Bégon).
Pour poursuivre sur la lancée de mon dernier article, qui présentait les ingénieurs militaires français présents en Nouvelle-France lors de la guerre de Sept Ans, je souhaite aujourd'hui vous présenter leurs collègues canadiens.
Alors que dans leurs écrits, les officiers français sont très bavards à propos de leurs collègues canadiens (tant des troupes de la Marine que des milices), ils sont plutôt silencieux concernant les ingénieurs canadiens. Dans les sources que j'ai traitées dans le cadre de ma maîtrise sur la guerre de siège, seuls deux noms d'ingénieurs canadiens apparaissent: Gaspard-Joseph (parfois appelé Joseph-Gaspard) Chaussegros de Léry et Michel Chartier de Lotbinière.
Le premier est le fils de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry, et est né en 1721 à Québec. Son père, ingénieur militaire, était arrivé de France en 1716 et a laissé une empreinte marquée sur la Nouvelle-France. Ingénieur en chef de Nouvelle-France jusqu'à son décès en 1756, il a entre autres érigé les nouvelles fortifications de Québec en 1745, qui subiront les sièges de 1759 et 1760. Son fils Joseph-Gaspard suit ses traces dans le Génie. Son rôle en tant qu'ingénieur pendant la guerre de Sept Ans est pourtant fortement occulté par les officiers français. Chaussegros de Léry fils est principalement connu pour le raid victorieux qu'il a mené en mars 1756 sur le fort Bull, près du lac Oneida (à proximité de l'actuelle Rome, État de New-York). En prenant par surprise cet important dépôt britannique de vivres et de munitions, il a contribué à l'isolement des forts d'Oswego, et ainsi facilité le siège et la prise de ceux-ci au mois d'août 1756. La seule mention de son rôle d'ingénieur dont j'ai eu connaissance pour l'instant est sa présence au fort Niagara à l'automne 1755, poste dont il est chargé d'améliorer les fortifications. Envoyé à Niagara pour l'épauler à la fin de l'année 1755, Pierre Pouchot, officier des troupes de terre possédant de solides connaissances de Génie, manifeste un certain dédain vis-à-vis de Chaussegros de Léry, lui attribuant le vocable peu reluisant de "soi-disant ingénieur"... N'ayant pas vraiment pu me pencher sur le personnage lors de ma maîtrise, je ne peux juger de la pertinence de la remarque de Pouchot, mais je ne désespère pas de trouver d'autres traces de Chaussegros de Léry fils au cours de mon doctorat.
Portrait de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry fils,
inconnu, 1751-1752,
Collections du Musée National des Beaux-Arts du Québec.
Les officiers français sont bien plus loquaces concernant Michel Chartier de Lorbinière, ingénieur canadien né à Québec en 1723. Il possède une certaine expérience des guerres coloniales, ayant participé entre autres à des campagnes en Acadie en 1746 et 1747. En 1750, La Galissonière, gouverneur par intérim de la Nouvelle-France, l'envoie en France suivre une formation d'ingénieur. Il revient dans la colonie en 1753 avec le diplôme d'ingénieur du Roy. À l'automne 1755, alors que les hostilités entre Français et Britanniques ont débuté depuis plus d'un an, le nouveau gouverneur, le marquis de Vaudreuil, lui confie la construction d'un nouveau fort sur la frontière du lac Champlain. Le nouveau fort Carillon (Ticonderoga, État de New-York) est cependant vite critiqué par les officiers français qui s'y succéderont... Dire que Michel Chartier de Lotbinière et son oeuvre en tant qu'ingénieur ne font pas l'unanimité auprès des officiers français relèverait du doux euphémisme. Dès octobre 1756, soit quelques mois seulement après son arrivée en Nouvelle-France, Louis-Antoine de Bougainville le qualifiait, non sans la pointe de sarcasme qui le caractérise, de "Vauban du Canada"... La plupart des historiens sérieux s'étant intéressés à Chartier de Lotbinière ont confirmé la compétence très relative de celui-ci en tant qu'ingénieur...
Portrait de Michel Chartier de Lotbinière, inconnu, fin 19e siècle,
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
La gravure comporte la mention erronée "ingénieur en chef au Canada",
Lotbinière n'ayant jamais occupé cette fonction.
L'opposition qu'on retrouve dans les écrits de plusieurs officiers français entre ingénieurs canadiens et français rejoint celle divisant le gouverneur Vaudreuil et le marquis de Montcalm. Au décès de Chaussegros de Léry père en mars 1756, la place d'ingénieur en chef de la Nouvelle-France devient vacante. Le débat quant à sa succession dure plus d'un an. Vaudreuil, Canadien de naissance, soutient la candidature de Chartier de Lotbinière, également Canadien. Montcalm et les officiers français soutiennent de leur côté Nicolas Sarrebource de Pontleroy, ingénieur français alors en poste à Louisbourg et disposant d'une très solide expérience de plus de vingt années de service, tant en Europe qu'en Amérique. L'intervention de l'ingénieur Franquet, son supérieur à Louisbourg, décide en 1757 la Cour de Versailles à nommer Pontleroy ingénieur en chef de la Nouvelle-France, au grand déplaisir de Vaudreuil. Le gouverneur n'hésitera pas à critiquer Pontleroy, lui attribuant par exemple l'échec du siège de Québec de 1760...
Pour terminer, je souhaite juste vous mentionner une récente découverte que j'ai eu le plaisir de faire: la semaine dernière, au cours de mes lectures, j'ai appris l'existence d'un autre ingénieur canadien ayant servi pendant la guerre de Sept Ans, dont je n'avais jusqu'à présent jamais entendu parler. Michel de Couagne est né à Louisbourg en 1727 et est le fils d'un ingénieur militaire français en poste au Canada et à Louisbourg pendant plus de vingt ans. Michel de Couagne a participé en tant qu'ingénieur aux deux sièges de Louisbourg de 1745 et 1758. Aucune des sources que j'ai utilisées pour ma maîtrise ne mentionne cet ingénieur, il m'était donc complètement inconnu. Cette réjouissante découverte me montre bien que les premiers éléments de recherche que j'ai effectués au cours de ma maîtrise sur les ingénieurs militaires m'ouvrent la voie à une recherche de doctorat des plus fascinantes!
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin
Sources:
Pierre Pouchot, Mémoires sur la dernière guerre de l'Amérique septentrionale entre la France et l'Angleterre, Québec, Septentrion, 2003. Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada. Mémoires, lettres, journal, Québec, Septentrion, 2003. Dictionnaire biographique du Canada (plusieurs biographies de ces ingénieurs sont disponibles en ligne). Pierre-Georges Roy, Inventaire des papiers de Léry, conservés aux Archives de la Province de Québec, Québec, 1939.
J'apprécie beaucoup ces partages de nouvelles découvertes, à la fois pour ceux qui souhaiteraient suivre dans ces pas des recherches; mais aussi pour des recherches plus modestes qui nous permettent tout de même gouter les plaisirs dee ramasser des 'brins' plus humbles!
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