Bonjour!
Je souhaite aujourd'hui vous partager quelques premières réflexions concernant le matériel utilisé par les ingénieurs militaires au 18e siècle. Par le bagage scientifique (et principalement mathématique) très poussé que requiert leur profession, les ingénieurs militaires font partie de ce que les historiens ont récemment nommé les "Lumières militaires" (ou "Lumières de la guerre"), expression qui traduit l'effervescence intellectuelle du 18e siècle dans le domaine de la guerre, dorénavant de plus en plus pensée de manière rationnelle, scientifique.
Ce savoir scientifique et technique repose entre autres sur l'utilisation d'un matériel très varié. Je veux vous donner ici un bref aperçu de celui-ci en présentant quelques objets mathématiques "de base" qui peuvent servir à l'ingénieur dans n'importe quelle partie de son métier ou presque.
En 1755, Bernard Forest de Bélidor publie un Dictionnaire portatif de l'ingénieur, où l'on explique les principaux termes des Sciences les plus nécessaires à un Ingénieur. Bien que n'étant pas ingénieur lui-même, Bélidor est un mathématicien reconnu par ses contemporains, qui a enseigné les mathématiques à l'école d'artillerie de La Fère dans les décennies 1720-1730, et qui a beaucoup apporté à l'utilisation des mathématiques dans le Génie et l'Artillerie. Il a notamment publié plusieurs traités théoriques de référence comme La science de l'ingénieur (1729) ou Le Bombardier françois (1731). Dans son dictionnaire de 1755 (qui n'est en fait qu'une compilation de définitions tirées de ses propres travaux et de ceux de ses contemporains), Bélidor différencie les "instruments" des "outils":
"Instrument. Ce mot s'entend du compas, de la règle, de l'équerre, &c. qui servent pour dessiner, & du niveau, du graphomètre, &c. Ils sont différens des outils, en ce que ceux-ci ne servent qu'à l'exécution manuelle & pratique des ouvrages".
Dans ce même dictionnaire, Bélidor fournit une liste des principaux "instruments" à utiliser par les ingénieurs militaires, qu'on retrouve dans "l'étui de mathématique":
"Étui de mathématique. Boîte portative, dans laquelle on peut mettre commodément les instrumens les plus nécessaires dans la pratique de la Géométrie. Elle doit contenir un bon compas ordinaire, un compas à plusieurs pointes, un rapporteur bien divisé par degrés, un tireligne, une petite règle, un porte-crayon, une équerre & un compas de proportion. La grandeur des Étuis de Mathématique est ordinairement de six pouces".
Pour vous donner une idée de ce que peuvent représenter de tels instruments, voici un détail d'une planche de "vulgarisation" du vocabulaire militaire, publiée au milieu du 18e siècle:
Détail de la Carte très commode aux gens de guerre, ingénieurs et canonniers, contenant les principaux termes de géométrie, de fortification, d'artillerie, et des feux d'artifice. À Amsterdam, chez Jean Covens et Corneille Mortier, entre 1740 et 1760 (document complet disponible sur Gallica ici) |
Un des instruments de l'ingénieur est le "compas de proportion", inventé à la fin du 16e siècle et perfectionné tout au long des 17e et 18e siècles. Ma collègue et amie Cathrine Davis, lors d'un voyage de recherche en France au printemps 2019, a photographié un exemplaire de compas de proportion au Musée d'Aquitaine à Bordeaux, et elle m'a généreusement fait parvenir ses photos (un grand merci Cathrine!), que je vous partage ici.
Compas de proportion, Musée d'Aquitaine, Bordeaux. Photos Cathrine Davis |
Mon article n'a aucunement la prétention d'être exhaustif sur cette question du matériel employé par les ingénieurs. Je ne m'étendrai donc pas davantage sur l'attirail des ingénieurs militaires, qui serait bien trop long à mentionner dans le détail puisqu'il varie considérablement en fonction de l'occupation de ceux-ci (cartographie, fortification, construction navale, ...).
Une dernière précision cependant; dans son ouvrage phare sur les ingénieurs militaires français de 1979, l'historienne Anne Blanchard notait qu' "en définitive, l'ingénieur n'a pas un matériel qui lui soit particulier. Il emploie celui dont usent de leur côté les architectes, les ingénieurs civils et les scientifiques de l'époque".
Dans mon projet de recréer un ingénieur militaire français en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (voir à ce sujet les articles consacrés sur son blogue par ma conjointe, Mlle Canadienne, à la recréation de l'uniforme), j'ai souhaité commencer à m'équiper de quelques pièces de cet attirail mathématique, qui seront autant d'alliés dans mes interactions avec le public lors d'événements de diffusion de l'Histoire. J'ai trouvé sur le site Historical Twist, organisme canadien spécialisé dans la reproduction d'objets historiques (en se basant sur des exemplaires disponibles en musée), sur un compas qu'ils identifiaient comme utile à la Marine. Prenant acte de la remarque d'Anne Blanchard (et sur le compas présent sur la Carte très commode...), j'ai commandé cet objet, que j'ai reçu ce matin.
Un tel compas pouvait avoir une multitude d'utilisations, dans le domaine de la fortification par exemple, comme j'ai tenté de le montrer en mesurant les bastions sur un plan du fort Carillon (Ticonderoga, État de New York) dont je dispose.
Voilà qui clôt cet article. Il est certain qu'au cours de mes recherches, je serai amené à en découvrir davantage sur ces instruments et leur utilisation par les ingénieurs en Nouvelle-France, ce qui sera l'occasion d'autres articles sur ce sujet.
À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin
Sources:
- Bernard Forest de Bélidor, Dictionnaire portatif de l'ingénieur, À Paris, chez Charles-Antoine Jombert, 1755;
- Anne Blanchard, Les ingénieurs du "Roy" de Louis XIV à Louis XVI. Étude du Corps des Fortifications, Montpellier, Collection du Centre d'histoire militaire et d'études de défense nationale, Université Montpellier III, 1979;
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