lundi 29 mars 2021

Le climat canadien vu par l'ingénieur François de Caire

Bonsoir!

Je partage avec vous ce soir une petite curiosité que m'a envoyée mon codirecteur de recherche Jean-François Gauvin il y a quelques temps, à savoir la référence d'une réflexion émise par l'un des ingénieurs militaires en poste en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans, François de Caire, au sujet du climat canadien.

Il a partagé ses commentaires sur cette question auprès de l'abbé Nollet, illustre savant français du 18e siècle, et la lettre qu'il lui a envoyée à ce sujet en 1765 a été lue lors d'une séance de l'Académie Royale des Sciences en 1773, excusez du peu!

Le lien ne paraît pas évident entre les occupations premières d'un ingénieur militaire et des réflexions météorologiques, j'en conviens. Toutefois, de nombreux ingénieurs militaires français de la seconde moitié du 18e siècle ont développé un intérêt plus ou moins prononcé pour diverses disciplines scientifiques, aidés en cela par la rigueur et l'excellence des savoirs scientifiques qui leur sont inculqués à l'École Royale du Génie de Mézières (voir ici mon article d'introduction sur ce sujet).

La réflexion de François de Caire sur le climat canadien est disponible dans un recueil de textes scientifiques présentés à l'Académie des Sciences, publié en 1776 par cette institution. Vous pouvez accéder au texte (aux pages 541 à 552) en cliquant sur l'image ci-dessous.



Dans sa lettre adressée à l'abbé Nollet en 1765, de Caire revient sur les principales théories tentant d'expliquer les causes du froid en Nouvelle-France, avant de proposer sa propre hypothèse. Il ne retient que les récits de deux voyageurs parmi les nombreuses relations de voyages dans la colonie nord-américaine: "Avant de vous donner mes conjectures, Monsieur, sur la cause d'un phénomène aussi singulier, je crois devoir auparavant examiner celles des Pères Bressany & de Charlevoix, comme étant les deux seuls Voyageurs qui en aient parlé avec des connoissances, & que je montre en quoi il me paroît qu'ils se sont trompés" (page 542).

Le premier est Francesco Giuseppe Bressiani, jésuite italien missionnaire en Nouvelle-France dans les années 1640, qui publie en 1653 une relation de son voyage au Canada. Le second est Pierre-François-Xavier de Charlevoix, jésuite français lui aussi en mission en Nouvelle-France dans la première moitié du 18e siècle. Il publie en 1744 une Histoire et description générale de la Nouvelle-France, avec le Journal historique d'un voyage fait par ordre du roi dans l'Amérique Septentrionnale. Cet ouvrage sera lu quelques années plus tard par plusieurs officiers amenés à servir en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans, comme le marquis de Montcalm lors de sa traversée de l'Atlantique au printemps 1756. 

Je ne vais pas détailler ici l'argumentaire complet mis en place par de Caire, je vous laisse le plaisir et la curiosité de lire la dizaine de pages de sa lettre à l'abbé Nollet. Toutefois, pour résumer brièvement son propos, l'ingénieur présente diverses théories avancées par les deux jésuites sur les causes du froid au Canada, comme les fortes précipitations de neige, une surélévation des terres dont serait témoin l'abondance des hautes chutes d'eau dans les rivières canadiennes, ou encore la présence de la chaîne de montagnes des Appalaches au sud de Québec. Après avoir réfuté ces différentes hypothèses, de Caire présente finalement la sienne: la cause principale (voire unique) du froid en Nouvelle-France serait les vents venant du nord-ouest, depuis l'est de la Russie et qui, aucunement déviés par une vaste étendue d'eau ou par des montagnes, amèneraient à Québec des courants froids.

Il ne m'appartient pas de juger de la justesse des arguments avancés par l'ingénieur (tant pour réfuter les hypothèses de ses prédécesseurs que pour étayer la sienne), n'ayant pas des connaissances suffisantes en météorologie. Il ressort tout de même de sa lettre à l'abbé Nollet une conception différente de la question, profondément ancrée dans son temps et traduisant son éducation scientifique. Il reconnaît certes la bonne volonté des deux jésuites et la pertinence de leurs questionnements en leurs temps, mais il leur reproche toutefois une trop grande confiance accordée aux témoignages de colons au détriment d'une démarche basée sur des données mesurables et vérifiables, notamment lorsque Charlevoix affirme que le défrichage progressif des terres a "adouci" le climat dans la vallée laurentienne:

"L'autorité dont s'appuie le Père de Charlevoix, c'est l'assurance que lui en ont donné les habitans. Eh! comment peuvent-ils en juger? quel est leur terme de comparaison dans un pays où il s'en faut bien qu'il y ait eu une suite d'observations? Cependant ceci ne peut se transmettre que par des observations, comme tout phénomène qui a des degrés d'augmentations & de diminutions; & ce n'est pas sur le dire d'un vieillard qu'on peut sur de pareils objets établir un fait" (page 549).


Voilà qui clôt donc cet article pour aujourd'hui. Curieux personnage que ce François de Caire, jeune ingénieur militaire arrivé au Canada en 1759 à 27 ans et qui, en à peine un an et demi de présence dans une colonie en guerre, participe pleinement à la campagne de Québec de 1759 (voir mon article sur le sujet ici), notamment en qualité d'aide-de-camp du marquis de Montcalm, blesse en duel l'ingénieur canadien Michel Chartier de Lotbinière (voir ici), se marie avec une Canadienne (Marie-Élisabeth Lebé, qui l'accompagne en France à la capitulation de la colonie), et qui au travers de tout ça trouve le temps de réfléchir au climat canadien au point d'être lu à l'Académie des Sciences!

À bientôt pour de nouveaux billets historiques!
Michel Thévenin

Source: Extrait d'une lettre écrite à M. l'Abbé Nollet, le 20 juillet 1765, par M. de Caire, Chevalier de l'Ordre de Saint-Louis, & Capitaine au Corps du Génie, sur la cause du Froid en Canada, dans Mémoires de mathématique et de Physique, présentés à l'Académie Royale des Sciences, par divers Savans, & lû dans ses Assemblées, Année 1773, À Paris, de l'Imprimerie Royale, 1776 (pages 541-552).

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